Dans son recueil d’exil, les Tristes, Ovide regrette l’inachèvement de son grand poème mythologique en quinze livres, les Métamorphoses. Il s’adresse ainsi à l’ami à qui il destine le poème :
Peut-on trouver dans le texte que nous possédons, dont la composition comme l'expression semblent avoir été menés à terme, les traces d’un tel inachèvement ? De quel ordre seraient-elles ? Ces imperfections concernaient-elles la structure de l’ouvrage ou plutôt des détails de style et de versification ? Les critiques supposent en général qu’Ovide, en fait, a pu remanier son œuvre pendant ses années d’exil, corriger les défauts ici évoqués, faire circuler de nouvelles versions plus correctes, ce dont témoigneraient des variantes attestées déjà à époque ancienne.
Cependant, Pierre Vesperini esquisse une autre approche : il estime que dans la grande poésie latine, la « connexion des choses », c’est-à-dire l’expansion des matières traitées, de proche en proche, « est potentiellement infinie ». Ce qui, selon lui, ne vaut pas seulement pour Lucrèce dont il traite, mais pour toute la poésie épique : « Ce n’est donc peut-être [pas] par hasard que tant de grands poèmes épiques latins nous sont présentés comme inachevés : outre Lucrèce, citons l’Énéide de Virgile, la Pharsale de Lucain, et même les Métamorphoses d’Ovide. » Ainsi, l’inachèvement serait inscrit dans la nature d’œuvres toujours virtuellement en expansion. On le conçoit mieux du poème de Lucrèce que de celui de Virgile, si solidement construit malgré ses vers inachevés et sa fin brutale, ou de celui d'Ovide. C'est pourquoi on peut se fier plutôt à l'hypothèse du critique J. Butterfield, mentionnée par Vesperini dans une note afférente (3) : celui-ci suggère l’influence possible sur Ovide d’un paradigme virgilien : le motif du poète mourant cherchant à détruire son œuvre non parachevée, comme Virgile qui aurait voulu jeter au feu l’Énéide, sauvée in extremis par l’intervention personnel de l’empereur Auguste : ce geste serait reproduit fictivement par l’auteur des Métamorphoses, qui mettrait ainsi en scène un désir de brûler son texte avant de partir en exil : une façon pour lui de s’inscrire dans les pas de son illustre aîné.