Le texte de Jacques Roubaud qui porte ce titre (1) tisse d’élégantes et savantes variations autour de la littérature arthurienne, dont son livre est comme une nouvelle Continuation : non pas au sens narratif (la poursuite d’un récit inachevé), mais en tant qu’il se présente comme la critique et la réinvention de la tradition littéraire médiévale. Le texte joue discrètement avec la distance parodique, mais témoigne d’une connaissance approfondie des thèmes et de la stylistique du roman courtois. Le pastiche n’est jamais appuyé, cassé qu’il est, notamment, par la transposition linguistique de l’ancien français à la langue moderne.
Ainsi la première séquence narrative (« Rapport sur la naissance de Merlin ») reprend la trame traditionnelle de cet épisode, telle qu’on la trouve par exemple chez Robert de Boron (vers 1200), mais en la transposant dans un contexte normand qui évoquerait vaguement Maupassant :
On passe donc du « roman » au « rapport » sans que ce dernier terme paraisse cependant adéquat, tant la simplicité de l’écriture nous place plutôt du côté du conte populaire. Cette fluctuation du genre fait de la reprise des textes médiévaux le point de départ d’une écriture nouvelle. Cependant, cette ré-élaboration ne peut être que fragmentaire : elle est nostalgique d’un univers d’écriture définitivement perdu, qu’on ne peut ressusciter que par éclats, par allusions : ce graal-là aussi est devenu inaccessible : il ne peut qu’être évoqué. Si l’on en croit le prière-d’insérer, il s’agit de « restituer à la prose ses enfances ». « Restituer », c’est d’abord remonter aux origines des récits arthuriens, à travers leurs premiers narrateurs, faire connaître une littérature oubliée, pas seulement Chrétien mais aussi Wace, Robert de Boron ou le mystérieux Bleheris. C’est encore en rétablir les parties manquantes, dans un esprit « à la Viollet-le-Duc ».
L’écriture même du livre tend à reconstituer un « état naissant » de la prose, celui où l’octosyllabe du XIIe siècle se défait dans la prose abondante des grands romans du XIIIe. (Le moment de ce passage est peut-être à situer chez Robert de Boron, dont seul le début de l’œuvre a été conservé dans une version en vers.) Roubaud, quant à lui, mime ce flottement des formes littéraires en multipliant les styles d’écriture : fiction et critique mêlées, insertion d’octosyllabes, mais aussi pseudo-transpositions en prose, où le rythme du vers, voire les rimes se conservent ou sont aisés à restituer :
Il y a là un état physique de la langue analogue à celui de la fonte, de la décongélation : le cristal de l’octosyllabe se résout en prose, sans que sa structure ait encore vraiment disparu. Cet état incertain de la langue permet aussi l’instauration pour aujourd’hui de formes nouvelles. Car le travail de Roubaud n’est pas tourné seulement vers le passé : il s’empare de la matière arthurienne pour y expérimenter en toute liberté des formes d’écriture et de composition très novatrices : labyrinthe de textes enchâssés, paragraphes numérotés, abréviations mathématiques, graphes, ou encore forme déductive d’une « axiomatique Gauvain », formule qui mêle plaisamment la logique mathématique au cas-régime de l’ancien français, afin de réduire le héros arthurien à quelques schèmes comportementaux.