Micrologies

Parzival


Dans l’Album du Graal où il a réuni pour la Pléiade l’iconographie du mythe (Paris, 2009), Philippe Walter déploie toute la tradition complexe liée à cet objet mythique, depuis Chrétien de Troyes. Il indique notamment que se sont développées concurremment des traditions nationales indépendantes. En France, c’est de Chrétien et de ses continuateurs que découle l’interprétation religieuse développée au XIIIe siècle dans l’immense cycle du Lancelot-Graal. En Angleterre, c’est Thomas Malory qui, au XVe siècle, synthétise la tradition anglo-saxonne, celle que l’on retrouvera jusque chez les Monty Python, fût-ce pour la dynamiter.

La tradition germanique naît aussi de Chrétien, par l’intermédiaire de Wolfram von Eschenbach, qui rédige son Parzival entre 1200 et 1220. Adaptant le Conte du Graal, ce chevalier-poète s’en écarte cependant sensiblement : marqué par l’alchimie et l’astrologie, il « dépasse l’ambiguïté de Chrétien » (dont l’œuvre, rappelons-le, est inachevée) et « inaugure, en milieu germanique, un puissant courant ésotérique, politique et philosophique qui marquera durablement l’ensemble de la tradition européenne ». Par exemple, la vertu nourricière du Graal lui vient de sa matière même ; il est fait d’une pierre précieuse aux pouvoirs magiques. Le premier souverain du Graal est Amfortas, homme sauvage et déchu en raison de son mal incurable : son nom même dérive de infirmitas. C’est un mystérieux astrologue, Flégétanis, qui aurait découvert les propriétés du Graal ainsi que l’influence de Saturne, qui caractérise ce vase et marque les personnages qui gravitent autour : cultivateurs, infirmes, ermites, soldats et prisonniers : ce sont précisément les personnages du roman. Wolfram exploite ainsi cette référence astro-mythologique qui reste implicite chez Chrétien.

Cette tradition germanique aboutit au Parsifal de Wagner, qui dérive entièrement de Wolfram. C’est la sacralisation d’un art « dépassant le christianisme pour célébrer un nouveau Messie rédempteur de l’humanité ». « Le héros a guéri Amfortas et sauvé le monde, Ce nouveau messie est aussi celui du peuple allemand, appelé à régner sur l’empire éternel. » Par-delà toute religion, le Graal devient avec Wagner « l’absolu parfait, l’objet de toute quête artistique, religieuse ou philosophique. »



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