Micrologies

Roseraies


Roses de Paestum :

Vidi ego odorati uictura rosaria Paesti
 sub matutino cocta iacere Noto
(1).

J’ai vu les roses de l’odorante Paestum, des roses pleines de vie, brûlées au matin et couchées sous le souffle du Notus (trad. D. Paganelli).

Élégie ronsardienne que cette évocation par Properce des célèbres roseraies de Campanie, saccagées par le vent du sud ? Pas tout-à-fait : conseils d’une vieille maquerelle à une courtisane : tire profit de ton corps tant qu’il a une valeur marchande. C’est tout le jeu ironique de l’élégie latine. Mais, pour le souffle du vent, on ne peut manquer de songer aussi à Apollinaire :

Automne malade et adoré
Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies

Chez celui-ci cependant, la mort des roses n’est pas celle d’une vie trop tôt brisée : elle a pour contrepartie la beauté des épanouissements tardifs, telle qu’on la trouve déjà chez Martial  (IV, 9) :

Rara iuuant : primis sic maior gratia pomis,
 hibernae pretium sic meruere rosae.

On aime la rareté ; c’est pour cela que les premiers fruits ont plus de charme et que les roses d’hiver sont si estimées (trad. H. J. Izaac).

Pour l’idée, c’est déjà Agrippa d’Aubigné : “Une rose d’automne est plus qu’une autre exquise (2).” Le poète français est cependant plus raffiné : si chez Martial la rose d’hiver est rare, celle de l’automne a ici la mélancolie de ce qui disparaît : elle est la dernière, comme le suggère le comparatif. Avant d’Aubigné, l’image, venue ou non de la poésie latine, est passée par la Pléiade. Les éditeurs des Tragiques signalent ainsi ce vers de Baïf (Amours) : « Hier, cueillant cette rose en automne fleurie », ce qui est plus faible.

Une constante dans l’emploi de cette image des roses fanées ou tardives, c’est qu’il est toujours métaphorique. Ainsi Martial l’applique à ses poèmes : il craint que la multiplication et la diffusion de ses épigrammes ne nuise à leur succès, dont la rareté était peut-être la cause. Quant au trait de génie de d’Aubigné, c’est d’avoir transposé l’image depuis un contexte épicurien ou moralisant vers son univers propre, celui de la poésie religieuse : son propos est de célébrer ainsi les martyrs tardifs des guerres de religion. « Vous avez esjouï l’automne de l’Église (3). »

1. Properce, Élégies, IV, 5, 61-62.
2. Agrippa d'Aubigné, Les Tragiques, "Feux", v. 1233.
3. Ibid. v. 1234.



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