Micrologies
dit le lièvre à la tortue dans la fable de La Fontaine. Starobinski (1) fait remarquer qu’au XVIIe siècle il n’était pas besoin de commentaire pour comprendre immédiatement ce passage : l’ellébore est depuis des siècles le traitement spécifique de la bile noire et donc de la mélancolie. Une décoction de la racine de cette plante, très irritante, pouvait provoquer des selles noires ou hémorragiques : on avait l’illusion de s’être débarrassé ainsi d’un excès de bile noire. Avant même la rationalisation médicale opérée par Hippocrate, ce remède était présent dans des croyances magiques anciennes rapportées par Pline l’Ancien. Un mythe spécifique raconte la découverte des propriétés médicinales de l’ellébore. Sa cueillette s’entourait aussi de toutes sortes de précautions, pour préserver sa puissance.
« Les vertus de l’ellébore, explique Starobinski, sont un exemple excellent de cette valorisation rêveuse qui s’attache, dans les temps préscientifiques, à certaines substances privilégiées. » C’est à la fois un spécifique et une panacée, à qui on reconnaît un pouvoir très polyvalent. Pline l’Ancien et Dioscoride le préconisent « pour la paralysie, la folie, l’hydropisie, la goutte et les autres maladies des articulations ; en collyre, il éclaircit les taies des yeux ; il mûrit et déterge les écrouelles, les abcès qui suppurent, les tumeurs dures, les fistules, les dartres ; il enlève les verrues ; il guérit même la gale des quadrupèdes (2). »
Au début du XIXe siècle, les médecins doivent encore se justifier de l’abandon de cette thérapeutique. Malgré le renoncement à la théorie humorale, on continue à prôner des méthodes « révulsives » : on reste fidèle au même vieux principe thérapeutique, « celui qui recommande la soustraction d’une substance organique dont la pléthore […] altère les fonctions du cerveau (3). »