Micrologies

Pascal, Montaigne et la citation


Dans son livre sur la pratique de la citation (1), Antoine Compagnon explicite les rapports complexes que Pascal a noués avec l’œuvre de Montaigne.

Au XVIIe siècle, rappelle-t-il, le projet de Montaigne et son écriture fonctionnent comme un contre-modèle : pour Pascal, l’écriture des Essais est confuse et surtout, Montaigne y parle trop de lui : « Le sot projet qu’il a de se peindre et cela non pas en passant et contre ses maximes, comme il arrive à tout le monde de faillir, mais par ses propres maximes et par un dessein premier et principal » (2).

Mais la condamnation de Montaigne n’est pas absolue : Pascal « conserve assez d’admiration pour la manière d’écrire de Montaigne, pour l’écrivain sinon pour le sujet ontologique. Il lui rend hommage et compare son propre style à celui de Montaigne : "La manière d’écrire d’Épictète, de Montaigne et de Salomon de Tultie est la plus d’usage, qui s’insinue le mieux, qui demeure plus dans la mémoire et qui se fait le plus citer." » « Salomon de Tultie », c’est l’anagramme de « Louis de Montalte », un pseudonyme de Pascal. L’écriture réussie, pour Pascal, est celle qui se fait citer, c’est l’écriture par sentences brèves, qui s’oppose aux longues périodes inspirées de Cicéron.

De plus, selon Compagnon, « Pascal et Montaigne se ressemblent, moins parce qu’ils se font citer que parce que d’abord ils citent. » Il juxtapose l’avertissement de Montaigne : « Qu’on ne s’attende pas aux matieres, mais à la façon que j’y donne » et celui de Pascal : « Qu’on ne dise pas que je n’ai rien dit de nouveau, la disposition des matières est nouvelle. […] J’aimerais autant qu’on me dise que je me suis servi des mots anciens. Et comme si les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours par une disposition différente, aussi bien les mêmes mots forment d’autres pensées par leur différente disposition. (3) ». Compagnon estime qu’ici « Pascal donne la théorie de la pratique de Montaigne ».

Ce qui est donc commun aux deux auteurs, si l’on comprend bien Compagnon, c’est le rejet des pratiques médiévales de l’écriture. Pour Montaigne plus ou moins, et pour Pascal comme une évidence, « c’est la façon, la disposition, l’arrangement et la combinatoire qui prévalent, par une sorte de basculement, quant à la nouveauté ou l’originalité, depuis le paradigme vers le syntagme. Telle est la véritable fin du paradigme au sens de l’exemplum ou de l’auctoritas. »

1. Antoine Compagnon, La Seconde Main, éd. de poche Paris, 2016, [1979], p. 378-380.
2. Pascal, Pensées, Brunschvicg, 62, cité par Compagnon, loc. cit..
3. Cité par Compagnon, loc. cit.



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