Micrologies

Walter Scott et Jules Verne


À lire Walter Scott, on perçoit vite l’étendue de son influence sur le roman européen du XIXe siècle. Parmi ses émules, de façon inattendue, on peut placer Jules Verne, dont on comprend rétrospectivement qu’il a trouvé chez le romancier écossais certaines techniques de composition et d’écriture. Par exemple, Verne s’est heurté dans le domaine scientifique au même problème que Scott pour le roman historique et ethnographique : comment intégrer dans le récit, sans trop l’alourdir, des informations d’ordre documentaire ? (C’est d’ailleurs aussi le problème de Zola, parfois proche de Jules Verne sur ce point.) Scott crée à cette fin deux types de personnages : le voyageur, d’abord, que Verne mettra au cœur de ses Voyages extraordinaires. Déjà, dans Waverley, le jeune héros éponyme, parcourant les Highlands au milieu du XVIIIe siècle, permet à Walter Scott de faire découvrir les us et coutumes de cette région isolée. Mais surtout, Scott crée le personnage-ressource, chargé d’apporter au héros tous les renseignements que l’auteur cherche à donner au lecteur. Ces informateurs de bonne volonté, souvent des personnages de second plan, ou de savants spécialistes, sont typiques aussi de l’univers romanesque de Verne, comme le savant Paganel dans Les Enfants du capitaine Grant. Ce type de personnage est souvent sentencieux et ridicule, étroit d’esprit et monomaniaque, et se lance dans des dissertations juridiques, historiques ou scientifiques aussi pédantes qu’apparemment inutiles. Dans Le Cœur du Midlothian, le personnage de Saddletree est exploité jusqu’à satiété dans un comique de répétition qui fait passer la pilule de l’érudition.

De fait, ce mode de caractérisation des personnages secondaires présente bien des avantages dans le roman d’aventures : en les réduisant à un ou deux traits de caractère aisément identifiables, on leur assure une présence forte sans être encombrante. C’est aussi l’occasion d’introduire dans le roman une dimension comique, en raison même du côté répétitif et prévisible de tels personnages.

Avec le noble saxon Athelstane, acolyte de Cédric, le père d'Ivanhoé, un tel effet comique est redoublé par le caractère contradictoire des pulsions élémentaires du personnage : d’un côté une bravoure incontestable, de l’autre une irrésolution maladive : « S’il avait le courage de faire face au danger, le moins qu’on puisse dire est qu’il détestait se donner la peine d’aller le chercher. » On le surnomme donc « Athelstane le Tardif », ce qui le résume en un mot (1). Ce type de portrait tourne aussitôt à la caricature : « Les exhortations chaleureuses de Cédric avaient autant d’effet sur son tempérament impassible que des boulets chauffés au rouge tombant dans l’eau, qui produisent un peu de bruit et de fumée, et s’éteignent aussitôt. »

De ce type de personnages, la bande dessinée a usé abondamment, d’autant que le graphisme y autorise les excès de la caricature : tels sont Obélix ou le capitaine Haddock.

1. Walter Scott, Ivanhoé, chap. XVIII, Bibliothèque de la Pléiade p. 219.



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