Micrologies

Virgile et l’Arcadie


Dans son Histoire critique de la littérature latine, (1) , Pierre Laurens rappelle que c’est à Virgile et à ses Bucoliques que l’on doit l’invention d’un thème fondateur de la sensibilité occidentale : celui de l’Arcadie. Même si ce motif traverse toute l’époque moderne, ce n’est qu’au siècle dernier qu’on a mis à sa juste place le rôle de Virgile dans sa formation.

Parmi les lectures possibles de Virgile, celle de Polybe, « natif du Péloponnèse et qui rapportait que dans ces montagnes les enfants, habitués à chanter dès leur plus jeune âge, rivalisaient d’ardeur dans des concours de chant » : origine peut-être des « chants amébées » par lesquels les bergers de Virgile rivalisent et se répondent. Des épigrammes grecques placent elles aussi des bergers « dans la patrie de Pan, inventeur de la syrinx ».

Mais le pas décisif, c’est que « la poésie pastorale est devenue un des piliers de la tradition occidentale du fait que Virgile l’a empruntée à Théocrite et qu’il l’a modifiée du même coup » en substituant l’Arcadie à la Sicile (2).

En effet, seule la deuxième des dix bucoliques évoque, selon Laurens (3) le modèle « sicilien » de Théocrite. Deux autres ont pour cadre les environs de Mantoue, patrie de Virgile, tandis que quatre (IV, VII, VIII, X) se placent en Arcadie :  « non l’Arcadie réelle, montagneuse et pauvre, mais, à la différence de la Sicile de Théocrite, trop proche et depuis peu romaine et aux mains des grands propriétaires terriens, une terre idéale, « un pays nimbé de l’aura magique du lointain »  [B. Snell]. Au lieu que « Théocrite accuse, parfois jusqu’au grotesque, la rusticité de ses personnages », chez Virgile, « la souffrance amoureuse est présente, et la mort, mais adoucie par l’empathie des hommes, des arbres et des dieux ; même quand la politique fait irruption, [...] les événements contemporains, si douloureux qu’ils soient, sont évoqués à travers le sentiment qui emplit toute l’Arcadie, la nostalgie de la paix et de la terre natale. »

Il appartient à Poussin d’avoir sublimé à son tour la quintessence de l’Arcadie de Virgile en installant la mort au cœur même de l’idylle pastorale.

1. Paris 2014, p. 43-44.
2. E. R. Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, [1948, trad. fr. 1956] Paris, 1986, coll. Agora, t. 1, p. 310.
3. Loc. cit.



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