Le critique italien Roberto Calasso (1) propose une analyse stimulante des tendances artistiques éclectiques du XIXe siècle. Selon lui, une fois consommée la rupture historique de la Révolution et de l’Empire, après la remise en ordre du Congrès de Vienne, tout le passé, désormais révolu, devient disponible : non seulement l’Antiquité, mais le monde celtique, le gothique, la Renaissance ; il est prêt à être « mis en scène », comme « un immense magasin d’accessoires ». Du mélodrame, de la peinture, de la littérature, cette « vision posthistorique de l’histoire » passe sous Louis-Philippe à la décoration d’intérieur. « L’empreinte d’un style singulier marquant l’époque commença à s’effacer alors. » Mais en même temps, « en devenant disponible, le passé perdait quelque chose de son extranéité et de sa gravité. Un certain caractère factice accompagnera désormais la prolifération de ces apparitions. »
C’est ce que note Baudelaire au Salon de 1855 : « […] les peintres actuels, choisissant des sujets d’une nature générale applicable à toutes les époques, s’obstinent à les affubler des costumes du Moyen Âge, de la Renaissance ou de l’Orient » (2).
De Gautier à Baudelaire circule alors le terme de « modernité ». Pourquoi cependant ce mot a-t-il mis si longtemps à s’imposer ? « Gautier s’était trahi en écrivant une fois "moderne comme un roman de Balzac", où "roman de Balzac" signifiait le détail obsédant de la vie de tous les jours dans la grande ville. C’était cela l’événement enveloppant et difficile à accepter » (3).