Micrologies

Jules César et la République


Dans son bel essai Res publica, histoire romaine de la chose publique, (1), Claudia Moatti note qu’un thème fréquent du discours politique à Rome, notamment au temps des guerres civiles, est celui de la république vide, désertée, qui n’est plus qu’un vain nom : rem publicam verbo retinemus, re ipsa vero iam pridem amisimus, dit Cicéron dans le De re publica (2)(cité par Moatti, ibid. p. 168. En quoi consiste donc cette légalité républicaine si problématique ? La question se pose avec une acuité particulière en 49 av. J.-C., au début de la guerre entre César et Pompée ; elle est alors liée au comportement de l’élite sénatoriale face à l’avancée des troupes de César vers l’Italie.

La Guerre civile de César s’ouvre sur une séance du Sénat qui montre celui-ci dans l’impossibilité de trancher : faut-il proroger ou non les commandements accordés par la république à César et qui sont sur le point d’expirer ? Finalement visé par le sénatus-consulte « ultime » qui le met hors-la-loi, César franchit le Rubicon et arrive à Rome que Pompée et nombre de sénateurs ont aussitôt désertée. Il exhorte ensuite les sénateurs restants à administrer la république avec lui (suscipere rem publicam atque una secum administrare), faute de quoi il l’administrerait seul. « Ainsi, souligne Moatti, sa version était claire : il était dans la stricte légalité, il n’avait rien usurpé, c’étaient les sénateurs qui avaient, avec Pompée, littéralement abandonné la place. » Le lieu du pouvoir était vide, au sens propre, mais aussi parce que, selon César, Pompée et les sénateurs avaient auparavant multiplié les entorses à la légalité, s’excluant ainsi de fait de la res publica.

Ce discours légaliste est récurrent dans l’œuvre de César, mais bientôt, à partir de 46, c’est clairement lui qui met à mal cette légalité dont il se revendique : cumul de fonctions, nominations de magistrats non élus, mépris pour le Sénat. « À cette époque, donc, il apparaîtrait comme celui qui a confisqué la res publica, qui a réformé de manière radicale les rapports sociaux et politiques dans la cité, ce qui justifierait la défection de ses plus proches et son assassinat. Mais en 49, la légalité pouvait encore apparaître de son côté, en même temps qu’il affirmait sa volonté constante et acharnée de conciliation à l’égard de Pompée […] et de la faction pompéienne, pourtant fortement hostile » (3). Ce qui se traduit dans un premier temps par une politique de clémence et d’amnistie. Le caractère mouvant et problématique de la notion de république, objet de perpétuelles remises en question et redéfinitions conflictuelles, est ainsi pour l’auteur le point nodal de la pensée politique des Romains.

Gustave Boulanger, Jules-César arrivé devant le Rubicon, via Wikimedia Commons.

1. Paris, 2018, voir p. 166 sq.
2. Cité par Moatti, op. cit., p. 168.
3. Ibid., p. 169.



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