Micrologies

Gygès


Il existe deux versions de la légende de Gygès, roi mythique de Lydie à l’époque archaïque. La plus connue, celle de l’anneau de Gygès, est rapportée par Platon au livre II de la République (359b-360b). Berger au service du roi de Lydie, Gygès découvre dans des circonstances marquées par le merveilleux un cheval de bronze enterré, dans lequel est placé un cadavre de grande taille, qui porte à la main un anneau d’or. Gygès découvre vite qu’en tournant le chaton de la bague vers l’intérieur de sa main, il devient invisible. Cette partie de l’histoire est détaillée assez longuement par Platon, qui en abrège en revanche le dénouement : « Il se rendit au palais, séduisit la reine, et avec son aide attaqua et tua le roi, puis s’empara du trône. » Dans le texte de Platon, cette histoire est racontée sur le mode de l’apologue par Glaucon, qui défend la thèse déjà soutenue par Thrasymaque dans le début du dialogue : « On ne pratique la justice que malgré soi et par impuissance de commettre l’injustice » (trad. É. Chambry). Quel homme en effet, muni de l’anneau de Gygès, serait assez ferme pour rester juste et résister à la tentation de s’abstenir du bien d’autrui, et pour n’y pas toucher ? On comprend que la peinture de l'invisibilité ait peu tenté les artistes ; un anonyme ferrarais du XVIe siècle a cependant représenté la découverte de l'anneau :

Gygès Ferrare
L'Anneau de Gygès, Anonyme, Ferrare, XVIe siècle, via Wikimedia Commons.

Une autre version du mythe avait été précédemment racontée par Hérodote (Enquête, I, 7-14). Elle est centrée sur le roi Candaule, dont Gygès est un garde du corps. Fier de la beauté de sa femme, il veut absolument lui en montrer la nudité. Il dissimule Gygès derrière le battant d’une porte pendant que son épouse se déshabille. Mais la reine l’aperçoit au moment où il se glisse hors de la pièce. Furieuse du procédé de son époux, elle offre le choix à Gygès : ou bien tuer Candaule, l’épouser elle et devenir roi, ou bien périr sur-le-champ. Caché avec un poignard derrière la même porte, il tue le roi pendant son sommeil et épouse la reine. Point d’anneau magique ni d’invisibilité dans ce logos qui semble rationalisé, mais l’explication d’un changement de dynastie sur le trône de Lydie, les « Mermnades » remplaçant les « Héraclides ». De plus, l’histoire de Gygès est insérée dans celle plus longuement développée de Crésus, son quatrième descendant. Dans la vision causaliste qui est celle d’Hérodote, la faute initiale de Gygès sert à expliquer la chute de Crésus, plusieurs générations plus tard. Parmi les nombreuses versions peintes de l'histoire, celle de Jacques Stella :

Gygès Stella
Jacques Stella, Le roi Candaude montrant sa femme à Gygès,vers 1645, via Wikimedia Commons.

Les différences entre les deux récits ont parfois amené à douter qu’il s’agît du même Gygès… C’est accorder bien du crédit à leur historicité, c’est méconnaître la plasticité des mythes. Bien d’autres versions ultérieures remodèlent à leur tour la légende. On n’en retiendra qu’une, celle, plaisante, donnée par Lucien dans Le Navire ou les Vœux : le personnage de Timolaos, amené à formuler un souhait, prétend se doter non d’un seul anneau comme Gygès, mais de toute une panoplie : un qui lui donne force et santé, un autre pour être invisible, un troisième qui procure la force physique, un pour voler, un pour plonger qui l’on veut dans le sommeil et ouvrir toutes les portes, un encore pour se faire aimer et désirer… Et son ami Lycinos d’ironiser : pourquoi pas un seul anneau, mais réunissant tous ces superpouvoirs ?



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