Micrologies

Le Théâtre et la Pnyx


Le prologue des Acharniens, comédie d’Aristophane, joue sur la confusion de deux « isotopies » (pour parler en cuistre), celle du théâtre et celle de la politique. Isotopies au sens étymologique, puisque ce sont bien deux lieux qui sont superposés : le lieu réel de la représentation, le théâtre de Dionysos, et le lieu scénique, censé figurer la Pnyx, siège de l’Assemblée du peuple. Nicole Loraux (1) a rappelé, à propos de la tragédie, comment le lieu théâtral et le lieu politique, un temps confondus sur l’Agora, s’étaient dissociés, le premier s’installant sur les pentes de l’Acropole, le second sur la colline de la Pnyx. Aristophane en tout cas réunit fictivement les deux lieux dans un théâtre éminemment politique, qui convoque l’assemblée du peuple sur la scène du théâtre.

Sur la « Pnyx », donc, le protagoniste, Dicéopolis, regardant vers les gradins du théâtre (bondés), fait comme s’il « voyait » les bancs de l’Assemblée, parfaitement vides. Il attend les prytanes, les magistrats qui doivent présider la séance, consacrée à une délibération sur la paix. En fait, les deux « lieux » de la pièce se confondent aussi en lui : le citoyen qu’il est dans la fiction est aussi un spectateur qui n’exprime ses émotions, ses souvenirs politiques qu’en termes de théâtre : quand il a « vu » le démagogue Cléon rendre gorge, restituant cinq talents qu’exigent de lui les Cavaliers (qui représentent les couches sociales aisées), c’est sur la scène, dans Les Babyloniens, la comédie précédente d’Aristophane. On est dans un nulle part : le théâtre est ici l’u-topie de la politique.

1. La Voix endeuillée, Paris, 1999, pp. 29-30.



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