Micrologies

Socrate et les premiers chrétiens


Dans le livre qu’il consacre au procès de Socrate (1), et à son retentissement ultérieur, Paulin Ismard s’intéresse à la présence du sage athénien dans le premier christianisme. Il prend comme hypothèse exploratoire « que Jérusalem ait été l’héritière d’Athènes bien davantage qu’on a coutume de l’admettre et que le christianisme du Ier siècle ne puisse se comprendre autrement qu’en reconnaissant son inscription profonde dans les cadres culturels de l’Orient hellénophone ».

Il rappelle que les Actes des Apôtres opposent à la communauté mère de Jérusalem, rassemblée autour de Jacques, frère de Jésus, le groupe des Hellénistes, terme qui renvoie non seulement à la pratique de la langue, mais au « goût des choses grecques », tel qu’on le trouve dans le courant hellénophone du judaïsme. Entrés en conflit avec la communauté de Jérusalem, les Hellénistes essaiment hors de Judée et créent notamment l’Églis d’Antioche, qui intègre pour la première fois des non-Juifs, et développe l’appellation de « chrétiens » ; la réintégration dans la communauté mère se fait au prix d’une évolution majeure, due notamment à Paul : « pensée à Jérusalem comme annonçant la restauration du royaume d’Israël, la Bonne Nouvelle était devenue une promesse universelle. » De cette rupture on trouverait la trace dans le plus ancien Évangile, celui de Marc.

Après cette mise au point historique, Ismard en revient à sa question centrale : ces Juifs hellénisés « ont-ils introduit des éléments de la légende socratique dans le portrait du martyre de Jésus et des apôtres ? » Dans le judaïsme alexandrin, on trouve déjà auparavant des allusions au procès de Socrate. L’événement est évoqué par Flavius Josèphe dans le Contre Apion. Deux épisodes des Actes des Apôtres (deux récits de procès) semblent accréditer aussi une influence du modèle socratique sur le premier christianisme : Devant le Sanhédrin, Pierre et les apôtres reprennent des éléments de l’Apologie de Platon, telle la formule « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Actes, 5, 27-40). De même, le récit de la prédication de Paul à Athènes (et de son échec) « présente des similitudes troublantes avec la légende socratique ».

Quel crédit accorder à une telle hypothèse ? On peut y trouver la séduction propre à toute théorie historique nouvelle, surtout quand elle est iconoclaste ; de façon plus solide, on peut approuver la démarche qui réintègre le premier christianisme dans son milieu culturel, celui du judaïsme hellénisé. Mais Ismard lui-même souligne la fragilité d’un « puzzle que l’on peut s’ingénier à reconstituer à l’infini » ; en l’absence de connaissances plus solides, ces pièces, conclut-il, « dessinent ce qui a tous les traits d’un triangle des Bermudes… ».

1. L’Événement Socrate, Paris 2017 [2013], p. 214-220.



Site personnel de Dominique Morineau - Hébergé par 1&1.