Micrologies

Érasme et Socrate


Paulin Ismard, dans L’Événement Socrate (1), suit pas-à-pas à travers les siècles le retentissement du procès et de la mort de Socrate. Il montre par exemple comment Érasme a contribué à renouveler largement l’image de Socrate dans l’Europe de la Renaissance. L’humaniste de Rotterdam reprend certes l’image volontiers chrétienne qu’on a dès longtemps donné du sage athénien, mais en la poussant à la limite : « Je me retiens, à grand-peine, de dire : "Saint Socrate, priez pour nous" » (2). La formule fit scandale, tant elle semblait indiquer « que la raison commune pouvait ne rien devoir au christianisme. »

Autre formule : Annon mirificus quidam Silenus fuit Christus? si fas est de hoc ad eum loqui modum, quem equidem haud video cur non omnes pro virili debeant exprimere, qui Christiani nomine gloriantur. « Le Christ ne fut-il pas un merveilleux Silène ? (S’il est permis de parler de lui de cette façon ; pour moi, je ne vois pas pourquoi ne devraient pas s’exprimer ainsi tous ceux qui se glorifient du nom de Chrétien) » (3) Érasme renvoie à la fameuse comparaison établie à la fin du Banquet de Platon par Alcibiade et popularisée par Rabelais dans le prologue de Gargantua : Socrate, est semblable aux silènes, ces boîtes dont l’aspect anthropomorphique grossier dissimule une précieuse image de divinité. Avant de mentionner le Christ, Érasme a cité d’autres Silènes, Antisthène, Diogène et Épictète, après lui Jean le Baptiste et toutes les nobles figures du christianisme. « Érasme, ajoute P. Ismard, renversait ainsi la préséance traditionnelle du texte sacré sur le legs de l’Antiquité païenne : Socrate n’était plus un prophète du christianisme, c’était bien plutôt les Évangiles qui étaient relus à la lumière de la littérature platonicienne. »

De plus, en faisant de la figure du silène « la marque de la simplicité et de l’humilité de Socrate », Érasme oppose la figure de celui-ci au vain savoir de la scolastique : « En assimilant sous la métaphore platonicienne du silène Socrate au Christ et aux apôtres, Érasme s’en prenait aux théologiens dont les vaines contorsions savantes nourries d’aristotélisme trahissaient la simplicité du message évangélique. »

1. Paris, 2017 [2013], p. 241-244.
2. Érasme, Banquet religieux, cité par Ismard, loc. cit.
3. Érasme, Adages, 2201.



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