Dans Tite-Live (II, 6, 5-9), on trouve le curieux récit de la mort de Brutus (le fondateur de la République), dans un combat de cavalerie qui voit s’affronter directement les deux chefs ennemis, Brutus et Tarquin Arruns, fils de Tarquin le Superbe (le roi récemment expulsé de Rome) :
Combat de cavalerie, ou plutôt, dirait-on, combat de chevalerie, tant les termes utilisés sont proches des stéréotypes des combats dans le roman médiéval, narrés avec des formules toujours identiques, dont voici un exemple entre mille, emprunté au Lancelot en prose :
Que faire d’un parallèle aussi incongru ? On ne peut guère supposer que Tite-Live ait servi de modèle aux romanciers médiévaux, à plus forte raison aux combattants. Tout juste peut-on penser que les particularités et les techniques du combat de cavalerie sont restées stables (même si les Romains ignoraient la selle rigide et l’étrier). Passé l’étonnement, ce sont ensuite les différences qui frappent. Distinguenda similitudo, selon le mot de Cicéron : « Il faut faire des distinctions dans la ressemblance. » Le duel codifié des chevaliers est la règle dans le roman médiéval, et dans l’affrontement guerrier. Chez les Romains, c’est l’exception, et Tite-Live signale lui-même le caractère incongru de l’épisode qu’il raconte au regard des pratiques romaines de la guerre : il en attribue la singularité à l’époque reculée qu’il décrit : Decorum erat tum ipsis capessere pugnam ducibus : « Les généraux d’alors se faisaient un point d’honneur de payer de leur personne. » S’il faut chercher un équivalent à son récit, il faudrait sans doute aller du côté de l’épopée, et de l’ « aristie » des héros homériques, de l’exploit individuel recherché à travers le combat des chefs. Le modèle serait peut-être l’affrontement fratricide d’Étéocle et de Polynice.