Micrologies

Conte et allégorie


Dans L’Encre de la mélancolie (1), Starobinski consacre quelques pages au genre du conte, tel qu’il est pratiqué au XVIIIe siècle. Dans la littérature « rocaille » de l’« amenuisement, de la « miniaturisation », le conte de fées joue selon lui un rôle essentiel. Depuis Basile, Perrault, et avec la vogue des contes orientaux et de leurs pastiches, le conte de fées a perdu sa valeur d’« ombre portée du mythe » et ne comporte plus que « sporadiquement, un résidu moral ; mais c’est là, bien souvent, une leçon inventée après coup ». Simple divertissement, pur plaisir de conter comme La Fontaine avec Psyché.

Mais au XVIIIe siècle, on invente aussi de nouveaux contes, dans un but souvent parodique ou satirique. « Le merveilleux féerique sert d’arme critique contre le merveilleux chrétien. » Des contes allusifs parodient les cours européennes sous l’apparence d’un royaume des fées. « Faible imagination, souvent, puisqu’elle n’a poursuivi d’autre but que de situer la narration fabuleuse à la distance exacte où s’arrêtent les pouvoirs de la censure. » Le sens littéral semble futile, mais c’est par son sens figuré que le conte s’attaque à la réalité politique ou religieuse.

Parfois aussi, cette humeur satirique, celle de Voltaire, prend « conscience d’elle-même comme liberté pure ». Le conte est alors le refuge « de l’imagination libre, de la poésie à l’état sauvage ». On s’aperçoit aussi que « les grandes vérités que l’on souhaitait révéler à la place (ou à côté) du christianisme pouvaient être inscrites dans des apologues, dans des récits mythiques, dans des contes fabuleux ». C’est alors une « allégorèse ascendante » qui offre des vérités morales ou métaphysiques sous forme d’« énigmes plus ou moins transparentes » : le chef-d’œuvre de cette pratique, c’est La Flûte enchantée. L’allégorie ne vise pas alors à masquer une réalité connue, mais se rapporte à une vérité encore inconnue.

Cependant, ces fables initiatiques manquent souvent d’épaisseur : les vérités qu’elles prétendent dévoiler sont bien pauvres. « L’allégorie a beau être emphatique, elle est dénuée de substance, elle est exsangue. » Mais elle préparera les lecteurs à chercher dans le conte fabuleux « comme un vestige des premiers temps », « une révélation primitive », une « parole originelle », une « enfance perdue » à retrouver. Starobinski cite ici Novalis : « Le conte est à la fois le canon de la poésie – tout ce qui est poétique doit être de la nature du conte. » De la « parodie du sacré » on est passé à « une nouvelle recherche du sacré ». Après que le rococo ait « dématérialisé le conte féerique », le premier romantisme y cherche une « gravité poétique », la « révélation d’un sentiment, de l’âme d’un peuple, ou de la nature entière ».

En six pages, une belle leçon d’histoire littéraire : le résumé d’un siècle.

1. Paris, 2012, voir p. 341-346.



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