Micrologies

Memmius


Dans son livre sur Lucrèce (1), l’historien de la philosophie Pierre Vesperini, s’intéresse à Memmius, le destinataire du De rerum natura. Son propos, qui est de « déconstruire le mythe de Lucrèce », l’amène à s’interroger sur les pratiques de la « philosophie » à Rome, catégorie qu’il nous invite à mettre en suspens, s’agissant du poète latin.

Selon lui, Memmius n’était pas seulement le destinataire du poème de Lucrèce, mais aussi son commanditaire : Lucrèce, qui devait écrire sur commande, comme tous les poètes latins, n’aurait pas entrepris spontanément un travail d’une telle ampleur. Memmius est un personnage bien connu des historiens : il est issu d’une vieille famille aristocratique qu’il rêve vainement d’élever jusqu’au consulat. Préteur, puis gouverneur de la province de Bithynie, orateur réputé énergique, gendre de Sylla et proche de Pompée, correspondant de Cicéron, il cherche à compléter son image par celle d’un lettré savant, c’est-à-dire hellénisé. Pourquoi commander justement à Lucrèce un poème épique, c’est-à-dire composé dans le mètre traditionnel de l’hexamètre dactylique ? C’est que le genre épique est le plus noble, avec la tragédie. Peu importe que le sujet soit didactique : c’est la forme métrique qui compte : « […] l’épopée, quelle que soit sa matière, est source de savoir. » (2) Memmius, par cette commande, aurait chercher à établir un lien entre son nom et la sophia, la culture savante.

Et l’épicurisme ? Selon Vesperini il ne joue qu’un rôle secondaire dans la commande de Memmius. Les Romains, affirme-t-il, n’ont pas de convictions philosophiques. Ils s’intéressent au savoir grec et non aux dogmes. Memmius aurait cherché seulement à se donner une image particulièrement grecque, l’épicurisme étant moins acclimaté à Rome que le stoïcisme, par exemple.

Que le texte fondamental pour notre connaissance de la doctrine d’Épicure soit une œuvre commandée à un poète professionnel pour servir à l’image publique d’un homme politique, voilà qui bouscule violemment des siècles de tradition lettrée… C’est tout l’intérêt d’un livre comme celui-ci, contre lequel le lecteur « résiste » autant qu’il peut, mais qui apporte sur la culture antique des perspectives radicalement nouvelles et riches de promesses.

1. Lucrèce – Archéologie d’un classique européen, Paris, 2017, voir p. 67-114.
2. Op. cit., p. 93.



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