Micrologies

Virgile : discours rapportés


Dans son ancienne mais indispensable édition scolaire de Virgile, (1), F. Plessis et P. Lejay font état d’une remarque de Servius, le commentateur antique du poète : c’est à propos des vers 719-720 du chant VI de l’Énéide, où Énée s’adresse ainsi à son père Anchise, qu’il a retrouvé aux Enfers : O pater, anne aliquas ad caelum hinc ire putandum est / sublimes animas […] ? « Ô père, faut-il donc penser qu’il se trouve des âmes prêtes à partir d’ici pour remonter sous le ciel […] ? » (trad. P. Veyne) Voici la note de l’édition Plessis-Lejay :

Servius remarque que Virgile innove en supprimant inquit Aeneas [« dit Énée »] : Nova brevitas ; nam dicendo o pater qui loquatur ostenditur [« Concision d’un nouveau genre ; en effet, c’est l’expression "ô père" qui indique le locuteur »]. Les Anciens avaient besoin de ces indications, parce que leur littérature était parlée et que même la lecture solitaire se faisait à haute voix. On peut comparer la façon dont les gens du peuple rapportent un dialogue : « qu’il me dit ; … que je lui dis ». La suppression de ces étais dénote un raffinement littéraire.

Il fallait un lecteur ancien comme Servius pour repérer un tel écart par rapport aux pratiques narratives accoutumées : loin d’être frappés par une concision inhabituelle dans ce vers, nous serions plutôt gênés par la lourdeur d’une formule trop insistante. D’une façon générale, il est intéressant de voir s’esquisser comme des nouveautés dans la littérature narrative antique des techniques de récit qui deviendront communes avec l’essor du roman moderne, tels les modes d’insertion du discours rapporté. On en trouverait maint exemple dans le « roman » gréco-romain, chez Apulée, Chariton ou Héliodore.

1. Paris, 1913.



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