À ne lire que les grandes pages de la poésie latine, on pourrait oublier combien elle est érudite, fondée sur un répertoire de textes, de lieux communs, d’allusions dont elle offre la perpétuelle variation. C’est l’intérêt des Silves de Stace (40-96), œuvre mineure, que de montrer comment cette masse de références peut être réinvestie dans de simples poèmes de circonstance. C’est le cas dans cette évocation d’un orage d’été, qui a surpris le poète dans le domaine d’un de ses amis :
La référence à Virgile est explicite : Stace renvoie au fameux épisode de l’Énéide où Junon, la fille de Saturne, pour hâter l’union d’Énée et de Didon-Élissa, provoque un orage qui pousse les deux amants à s’abriter dans la même caverne. Mais quand on compare les deux poèmes, on constate que les allusions sont aussi textuelles :
Stace condense en trois vers le passage de l’Énéide ; il reprend le verbe ululare, ainsi que les deux mots nimbus et nymphae, à la même place en fin de vers. Le verbe attulit, en rejet, remplace incipit placé lui aussi en début de vers. Le mot devia remplace invia, de même sens, que Virgile avait utilisé un peu plus haut. Cette pratique ne relève ni de l’imitation, ni de la citation, mais de la retractatio, c’est-à-dire d’un remaniement textuel qui modifie à la fois la lettre et le sens, forme latine de l’originalité : ici, une concision allusive à la fois élégante et modeste, et qui n’est pas dénuée d’humour, l’orage essuyé par le poète se voyant conférer une grandeur épique.
Le même Stace pratique aussi, à l’occasion, une retractatio interne : dans deux poèmes différents, il décrit le même paysage de la baie de Naples, qui se déploie devant la villa de son ami Pollius Felix, près de Sorrente (3). Les lieux évoqués sont les mêmes, mais dans le premier cas l’observation part de la villa et décrit le panorama qui se déploie devant elle, dans le second elle part des différents sites de la baie, d’où les regards convergent vers la maison de son ami. La virtuosité s’allie ici aussi à une concision légère, et l’hommage à son riche ami à une élégante désinvolture.