Dans le Brutus, dialogue consacré à l’histoire de l’éloquence à Rome, Cicéron ne se limite pas à des considérations historiques sur les différentes écoles de rhétorique ; il livre aussi d’intéressantes remarques sur le métier de l’orateur, dans ses aspects les plus concrets, notamment dans les chapitres où il retrace sa propre formation.
Aussi astreignant que l’entraînement d’un sportif de haut niveau, celui de l’orateur l’amène à modeler sa voix et son corps pour parvenir à se faire entendre, souvent en plein air, d’un auditoire nombreux (1). La constitution physique de Cicéron dans sa jeunesse, raconte-t-il, n’était pas adaptée à cette profession. S’ajoutait à ce physique inadapté la maladresse avec laquelle il pratiquait l’actio, c’est-à-dire l’art de prendre la parole en public, de prononcer un discours : il s’y engageait tout entier, sans compter ses efforts, se mettant ainsi en danger.
Même si l’on fait la part de l’emphase, il n’en reste pas moins que ce passage témoigne d’une réalité indiscutable : l’effort physique sévère qui est demandé à l’orateur. Cicéron décide donc d’interrompre sa carrière d’avocat débutant et d’entreprendre un voyage en Grèce et en Asie qui lui permettra non seulement de perfectionner son éloquence, mais d’acquérir auprès de techniciens renommés la puissance physique qui lui manque. Il rentre transformé :
La maturité de l’orateur, la technique de l’'actio, il les a donc acquises par une double maîtrise : celle de la parole qu’il faut discipliner, celle du corps qu’il faut entraîner pour le mettre au service de la première. Cicéron a développé ces compétences auprès de rhéteurs grecs ainsi décrits par Florence Dupont : « Ce sont des ingénieurs de la parole en même temps que des entraîneurs hors pairs capables de préparer les futurs champions du forum ou de l’agora. Régime, gymnastique, exercices de diction, travail du souffle, musculation du torse […] » (2). Car ces rhéteurs sont aussi de vrais orateurs, dispensant une formation complexe, auprès desquels les jeunes Romains, « même les plus doués, surtout les plus doués entreprennent de développer et cultiver méthodiquement leur souffle, leur voix, son timbre, son débit, leur résistance physique, l’élégance de leurs gestes autant que de leur mémoire, leur connaissance du droit de la philosophie, de la poésie, leur style » (3).