Micrologies

Iphigénie à Aulis : le texte


Le texte de l’Iphigénie à Aulis d’Euripide semble assez altéré : sans doute cette pièce posthume est-elle restée en chantier et fut-elle complétée après la mort de son auteur, peut-être par son fils Euripide le Jeune. Il n’en faut pas plus aux philologues pour se déchaîner : l’hypercritique a dépecé des pans entiers de l’œuvre, où tout est devenu suspect. Passe pour les anomalies métriques, mais la traque aux supposées incohérences devient vite un travail très subjectif, dans lequel l’humeur du savant (à savoir ses déterminations culturelles) risque vite de prendre le dessus. On a parfois éliminé plus du tiers des vers, ce qui va à l’encontre de l’unité manifeste et de la qualité évidente de la pièce. Qu’est-ce alors qu’Iphigénie ? Un texte sans aucun doute composite, mais dont il est vain de chercher à reconstituer l’archétype inaccessible.

L’édition de la C.U.F. a l’avantage d’être relativement tardive (1983). Son éditeur, François Jouan, bénéficiant des errements manifestes de certains de ses prédécesseurs, adopte un sage parti : maintenir l’intégralité du texte, mais signaler en note les suppressions proposées par l’un ou l’autre, en en expliquant à chaque fois les raisons. Il cherche, le plus possible, à sauver le texte, en donnant toutes les preuves philologiques qui plaident pour son authenticité. Les obstacles les plus sérieux sont des impossibilités métriques, qui indiquent pour le moins l’altération des vers. Mais, pense-t-il, la cohérence globale de l’œuvre peut être largement défendue.

Par exemple, l’authenticité du prologue a été souvent mise en doute, pour tout ou partie. Dans ce texte, où l’on voit Agamemnon réveiller son vieux serviteur pour lui faire part de ses inquiétudes, on trouve de brusques et inhabituels changements de mètre ; de plus certains critiques ont fait remarquer qu’il est invraisemblable qu’Agamemnon fournisse au Vieillard de longues explications sur son histoire familiale, alors que celui-ci la connaît déjà forcément. Ce à quoi Fr. Jouan répond que ces parties, même écrites dans des mètres différents, sont toutes nécessaires à l’exposition. De plus, ajoute-t-il,

Même si dans l’ensemble la vraisemblance psychologique reste faible, son utilité dramatique est évidente, en particulier du fait des variations introduites par le poète dans la légende, de la complexité des événements, des revirements même du roi. Ce quasi monologue du prologizôn (le personnage qui prononce le prologue) s’adresse, comme d’habitude, beaucoup plus au public qu’au partenaire présent sur la scène, quand il y en a un […] (1).

On a ici la concurrence de deux logiques : celle de la critique textuelle, attentive à la cohérence interne du texte et celle d’une critique littéraire plus attentive aux pratiques dramaturgiques de l’auteur. Impossible de choisir, comme le montre la conclusion de Fr. Jouan sur le prologue :

Double esquisse laissée inachevée ? Tentative pour renouveler, dans cette œuvre tardive, la forme traditionnelle du prologue tragique ? Le choix reste ouvert, mais, à notre sens, l’ensemble est marqué par l’esprit euripidéen, même si le texte a subi ultérieurement retouches et aménagements (p. 26).

1. P. 128, n. 5 à la p. 61.



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