Micrologies

La peur d'Hector


Le plus beau chapitre du livre de Nicole Loraux, Les Expériences de Tirésias, (1), est celui qu’elle consacre au chant XXII de l’Iliade et à la peur ressentie par Hector devant Achille au moment de l’affronter en combat singulier. Nulle part mieux que dans l’épopée, suggère-t-elle, et que dans ce passage ne se perçoit la part de féminin dans l’homme grec.

Hector, devant les murs de Troie, attend de pied ferme Achille. Il se dit qu’il rentrerait bien dans la ville au lieu d’engager le combat, mais qu’il ne le fera pas, pour éviter d’être blâmé par les siens. Il se dit qu’il déposerait bien ses armes pour aller parlementer avec Achille, mais il ne le fera pas : ce n’est pas le moment de conter fleurette (oarizein). Rejetant cette tentation « féminine », il reste ferme. Mais voici qu’Achille approche et, brusquement, Hector est saisi par la peur (phobos). Il prend la fuite, Achille sur ses talons, et une première comparaison les assimile tous deux à la timide colombe poursuivie par l’épervier (image de la « féminité effarouchée »). Trois fois ils font le tour de la ville en courant, jusqu’à ce qu’enfin Athéna obtienne de Zeus qu’il renonce à sauver le héros troyen. Alors intervient une nouvelle image, qui compare Hector au faon poursuivi par le chien. Apollon, qui a jusqu’ici donné des forces au Troyen, doit céder la place à Athéna : c’est elle qui va livrer Hector à Achille, en prenant l’apparence de son frère Déiphobe ; par ruse, elle lui insuffle perfidement du courage. Hector, qui ne se croit plus seul, se sent en mesure d’affronter maintenant son adversaire. « C’en est fini de la peur d’Hector, et sa grandeur sera que, rendu à soi par la ruse d’une divinité, il sache se dépasser lors même qu’il aura identifié le piège. » C’est ce retour de son courage qui va le perdre et faire sa grandeur : dans une ultime comparaison, il devient l’aigle, oiseau de Zeus, qui poursuit une agnelle ou un lièvre. Il affrontera la mort lucidement, avec une résolution héroïque ; la peur, pour autant, n’est pas passée dans l’autre camp : la sauvagerie d’Achille l’emportera inéluctablement.

Ainsi, tout en ayant peur, Hector n’a rien perdu de son héroïsme : c’est le point que Loraux entend montrer : « Vicissitudes du guerrier : la peur, un jour, l’envahira ; tapie au cœur de la force, la faiblesse attend son heure, et, au tremblement du héros, ses pairs sauront mesurer sa bravoure. » « Comme si la peur, dit-elle encore, était l’épreuve qualifiante du héros. »

1. Paris, 1989, « Crainte et tremblement du guerrier, » p. 92-107.



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