Dans son poème didactique Les Travaux et les Jours, Hésiode évoque, par une série d’images, le froid de l’hiver.
Ce passage exerce depuis toujours la sagacité des savants. L’interprétation traditionnelle veut que ce mystérieux « Sans-os » (anostéos), qui se dévore lui-même, soit le poulpe. C’est l’hypothèse retenue par Paul Mazon, qui, dans l’édition de la C.U.F., s’appuie sur un passage d’Aristote (Histoire des animaux, 591b), lequel rapporte, pour la nier, la légende qui voudrait que le poulpe mange son propre pied. Mais ce savant sent bien les limites de cette explication, qu’il tente de justifier dans une note embarrassée, en renvoyant à une possible légende enfantine :
La remarque raciste de la fin achève de déconsidérer une lecture dont on sent bien qu’elle gêne l’interprète lui-même, tant elle met le sens en tension. Une autre hypothèse est celle de l’escargot (1). L’escargot, en effet, rétracte son pied en hiver (il faudrait rapprocher le verbe grec tendô du sanscrit tan-, qui présente cette signification). On comprend alors plus naturellement l’allusion au « pacage » et celle à la « maison sans feu ». Au vers 571, le même escargot, au printemps, devient phéréoikos, « qui porte sa maison », et monte à l’escalade des arbres, a witty expression of its recovered energy (2). Fr. Bader (3), sur des bases de linguistique comparée, donne par surcroît à l’escargot une valeur sexuelle, en y reconnaissant une figure du pénis.
Signalons enfin qu’Aude Engel voit dans la jeune femme une figure de Pandore, la première femme, juste après sa création, cependant que l’homme est momentanément privé de feu par Zeus. Elle représenterait la part divine du sacrifice offert par Prométhée aux dieux (les os dissimulés trompeusement sous une belle graisse), tandis que les hommes ont la part que leur a réservée Prométhée, (la chair sans os), impliqués qu’ils sont dans la condition mortelle. Dans cet hiver l’homme sans femme est condamné à la masturbation, à s’occuper symboliquement de son pied. Hypothèse ingénieuse, mais qui implique une lecture du texte d’Hésiode comme poésie savante, d’une haute complexité symbolique : on est alors très loin (trop loin ?) des contes pour enfants évoqués par Mazon.