Micrologies

Ratapoil


Au début de L’Assemblée des femmes, d’Aristophane, on voit les femmes d’Athènes tenter un coup de force : déguisées en hommes, avec de fausses barbes et les vêtements de leurs maris qu’elles ont subtilisés, elles se présentent à l’assemblée du peuple pour la noyauter, d’autant que leurs maris, privés de vêtements, sont cloués à la maison. Elles vont pouvoir demander que les femmes désormais dirigent la cité, ce qu’elles prétendent faire bien mieux que les hommes. Mais Praxagora, la meneuse, les prie de veiller à leur déguisement, et à ne pas trahir leur sexe, ne serait-ce que par une trop large enjambée :

Οὐκοῦν καλά γ´ ἂν πάθοιμεν, εἰ πλήρης τύχοι
ὁ δῆμος ὢν κἄπειθ´ ὑπερβαίνουσά τις
ἀναβαλλομένη δείξειε τὸν Φορμίσιον. (v. 95-97)

Ah là là ! ça ferait du joli pour nous, s’il y en avait une qui attendait que tout soit bondé pour enjamber les bancs, en se troussant un peu plus haut, et faire voir son ratapoil ! (trad. V.-H. Debidour).

Le texte grec dit « Phormisios » : c’était le nom d’un citoyen d’Athènes qui était, nous dit-on, particulièrement velu… Le traducteur transpose avec bonheur la plaisanterie en jouant sur l’homophonie suggérée par un célèbre personnage de Daumier

Mais l’hypothèse plaisante de Praxagora n’est pas pure fantaisie, s’il faut en croire l’historien Maurice Sartre (1). Expliquant une inscription en l’honneur d’un athlète de la cité de Milet, il commente la nudité exigée des athlètes grecs : elle a surtout une fonction idéologique, précise-t-il, car elle sert à distinguer le Grec du Barbare. Mais il rapporte aussi le fait suivant : « Mais les entraîneurs doivent aussi se présenter nus, depuis qu’en 404 av. J.-C., dit-on, une femme de Rhodes s’était déguisée en entraîneur pour assister au combat de son fils boxeur à Olympie et se trahit en enjambant le parapet au moment de sa victoire. »

L’Assemblée des femmes, pense-t-on, date à peu près de 392. Aristophane a-t-il eu connaissance de cet incident, ou d’un autre semblable ? Les femmes en tout cas étaient exclues aussi bien de la vie politique que des concours sportifs. En revanche, elles avaient accès au théâtre, où elles pouvaient se voir ainsi raillées par des acteurs tous masculins…

1. Histoires grecques, Paris, 2006, p. 330.



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