La pièce qui porte ce titre n’est pas la plus connue de Diderot, ni sans doute la plus importante pour l’histoire du théâtre, moins citée et encore moins jouée que Le Fils naturel, moins étudiée que les Entretiens qui accompagnent ce drame bourgeois. Et pourtant, cette œuvre de circonstance, cette comédie d’intrigue légère et enlevée, plus proche de Beaumarchais que de Molière, est sans doute le plus réussi des essais dramatiques du philosophe.
Ce texte était destiné à des comédiens amateurs, pour une représentation mondaine. L’argument est le suivant : un auteur dramatique, Hardouin, est amené de force dans la demeure de Mme de Malves : il doit rédiger sur-le-champ et en secret une comédie en l’honneur de celle-ci, pour sa fête. À la mauvaise volonté du dramaturge viennent s’ajouter les contretemps que lui imposent toute une série de fâcheux. Prétendant régler les affaires de chacun, il improvise des expédients qui ne font que les irriter tous contre lui. À la fin, un procès comique réunit tous les mécontents : Hardouin est finalement acquitté, puisqu’après tout il a voulu agir pour le bien de tous. Et la comédie ? Pendant ce temps, puisqu’il est débordé de tracas, c’est son ami Surmont qui l’écrit à sa place et qui en apporte le texte au dernier moment : où l’on découvre que ce texte n’est autre que celui qu’on vient de représenter devant nous. Chacun jouera donc son propre rôle dans le spectacle qui va pouvoir enfin commencer. Vertigineux exemple de théâtre dans le théâtre, puisque cette pièce de Surmont endossée par Hardouin, bien sûr, c’est aussi celle qu’a écrite Diderot…
Cette superposition complexe d'instances d'écriture amène à projeter sur l’auteur, Diderot, la figure du protagoniste, Hardouin. De fait, Diderot semble s’amuser de son propre personnage : polygraphe, sociable, toujours prêt à rendre service, mais débordé et pris dans l’urgence. Un personnage multiple, double en tout cas, qui réunirait en lui les deux protagonistes du Neveu de Rameau : le Philosophe et le Neveu. L’alternative posée par le titre est résolue et dépassée par le dénouement : comme toujours chez Diderot, c’est le mouvement, l’élan vital qui fonde la morale et non le jugement casuistique.
Starobinski (1), utilise ce texte pour caractériser une stratégie d’écriture propre à Diderot : insinuer sa pensée dans la parole des autres : ainsi dans le Supplément apocryphe au voyage de Bougainville ou dans l’Histoire des deux Indes de l’abbé Raynal. Hardouin transfère l’écriture de sa pièce à son ami Surmont, qui semble en être l’auteur bien plus que Diderot/Hardouin : « Le décentrement est parachevé ; la responsabilité (en apparence tout au moins) échoit à la parole de l’autre, derrière laquelle toutefois nous ne doutons pas une seconde que Diderot ne soit présent. »