Micrologies

Cicéron et Brutus


L’historienne Claudia Moatti (1) analyse les différences idéologiques entre Cicéron et Brutus, dans la période qui suit l’assassinat de César. Après les Ides de mars, les deux principaux meurtriers de César, Brutus et Cassius, ont quitté l’Italie pour l’Orient, où ils commencent à lever des troupes. Pendant ce temps, Antoine, consul en titre et héritier politique de César, s’est octroyé la province de Gaule cisalpine, que refuse pourtant de lui céder le précédent gouverneur, Decimus Brutus, soutenu par le Sénat et Cicéron. C’est l’occasion de la guerre dite de Modène, qui verra la victoire des troupes sénatoriales, juste avant qu’ Octavien, le futur empereur Auguste, ne trahisse les forces gouvernementales en s’alliant avec le vaincu Antoine.

Dans ces circonstances pour le moins troublées, Brutus a capturé l’un des frères d’Antoine, Caius Antonius. Que doit-il faire de ce prisonnier ? C’est l’objet d’un échange épistolaire entre le tyrannicide et son ami Cicéron, resté à Rome. Brutus décide d’épargner son prisonnier ; Cicéron, lui, aurait voulu qu’il l’exécute, même sans procès. Pour celui-ci, il n’est de citoyen que le bon citoyen ; le rebelle perd tout droit à la protection de la loi. Au contraire, « selon Brutus, un citoyen est toujours un citoyen, quel que soit son acte ; il a toujours droit à la protection de la loi et personne ne peut le mettre à mort sans jugement […] ». Aussi Brutus épargne-t-il le captif.

Il reconnaît l’authenticité de l’engagement de Cicéron pour la res publica mais ne l’admet que dans le cadre de la loi. Lui-même a assassiné César, mais parce que celui-ci mettait en danger la res publica. En revanche, il reproche à Cicéron de ne pas s’en prendre à la tyrannie elle-même, mais à un individu, Marc Antoine. « Ainsi, selon Brutus, l’un se bat contre des ennemis politiques qu’il considère comme des tyrans, l’autre contre la tyrannie […] ; avec lui, le combat pour la liberté dépasse la lutte contre l’ennemi politique ».

L’historienne estime qu’« on a là [chez Cicéron] sans doute la matrice de la théorie de l’allégeance au princeps qui constitue par la suite l’une des bases de la répression des ennemis politiques sous le principat ». On peut mettre à mort sans procès ceux qui, par trahison, se sont exclus de la communauté. « Pour préserver son unité, la cité doit éliminer ses membres malades. Ce n’était pas l’idée de Brutus, soucieux des lois et du droit, confiant en la justice. »

Ces réflexions politiques d’une haute tenue (l’authenticité d’une partie de ces lettres a cependant été suspectée) seront rendues vaines par la violence des proscrip-tions et de la guerre civile, qui conduiront les deux hommes à la mort.

1. Cl. Moatti, Res publica, Paris, 2018, p. 230 sq.



Site personnel de Dominique Morineau - Hébergé par 1&1.