Selon Antoine Compagnon (1), le XVIe siècle, utilise plusieurs termes différents pour désigner la citation. Érasme emploie le verbe latin citare, « citer » (emploi importé du langage juridique) mais Montaigne préfère les termes « allégation » et « emprunt », réservant le second à sa propre pratique. Les termes « alléguer » et « citer » esquissent le cadre de la répétition du déjà dit au XVIe siècle, l’« emprunt » de Montaigne étant un terme moyen.
Dans le langage ancien du droit, « ce qui est cité, c’est un individu (un témoin, un prévenu), alors que ce qui est allégué, c’est une preuve, un argument ». Cependant, au Moyen Âge, citation et allégation avaient été confondues dans le modèle commun de l’auctoritas : « l’objet produit ne vaut comme preuve qu’en tant qu’il fut écrit par une autorité, un auteur consacré par la tradition ». Mais à la Renaissance, quand ce mode de pensée s’affaiblit, citation et allégation s’opposent à nouveau : l’allégation (que rejette Montaigne) « est trace d’un mouvement du texte hors de lui-même », qui délègue ses pouvoirs à un hors-texte ; la citation, elle, fonctionne en sens inverse : « au lieu d’aller du texte vers son dehors, elle appelle, convoque, fait venir ce dehors et elle l’incorpore. […] L’allégation va du texte vers l’extérieur ; la citation va de l’extérieur vers le texte […]. » La pratique de la citation, estime Compagnon, est analogue à celle de l’imprimerie : « Écrire, c’est choisir le caractère, l’emblème, la citation dans le casier approprié et les comprendre dans son propre texte, les combiner aux autres pièces détachées. »
En fait, résume Compagnon, « l’allégation et la citation représentent deux pôles concurrents dans la stratégie de la répétition au XVIe siècle, l’un commandé par l’éthique médiévale du discours et par le commentaire, l’autre par la Renaissance et par l’imprimerie. »
Qu’en est-il des « emprunts » de Montaigne ? Ils constituent « un mélange hybride d’allégation et de citation » ; ils relèvent d’une situation de transition, où l’appareil scolastique s’est affaibli, mais où le sujet moderne (engagé par la citation) ne s’est pas encore pleinement constitué. « L’emprunt […] est une phrase latine, un vers […] inséré sans transition, et sans nom d’auteur. […] Il met l’expérience des anciens en regard du texte, non pour le confirmer ni pour persuader le lecteur, mais par pur empirisme. Ce serait pourquoi le nom de l’auteur cité n’est pas précisé : il n’a ni prestige ni pouvoir en lui-même. »