Micrologies

Stertinius


La troisième pièce du livre II des Satires d’Horace présente un mode d’énonciation particulier. Formellement, c’est un dialogue entre le poète et Damasippe, un spéculateur ruiné qui s’est converti au stoïcisme. Mais la plus grande partie de ce long texte (255 vers sur 326) consiste en un abondant discours de Stertinius, maître dont Damasippe, avec l’ardeur d’un néophyte, rapporte les propos ; ce philosophe, qui semble proche des prêcheurs de carrefour d’un stoïcisme populaire, condamne dans une longue diatribe qui préfigure Érasme la folie généralisée des humains, dont il donne maint exemple : avarice, ambition, goût du plaisir, superstition.

La difficulté que pose ce texte est celle du niveau où se situe la satire : Damasippe est clairement un personnage caricatural et Stertinius est censé en être un aussi. Or les thèmes que développe le philosophe ne sont pas étrangers à Horace : leur moralisme nourrit même les Satires du poète. Pourquoi dès lors mettre dans la bouche du ridicule Stertinius un discours dont Horace pourrait largement assumer le contenu ? Jacques Perret suggère la réponse suivante :

« On ne peut échapper à l’impression qu’Horace, tout-à-fait à son aise pour raconter en son nom propre la rencontre d’un fâcheux, un voyage à Brindes, un repas ridicule, pour dire les joies qu’il trouve dans son petit domaine, pour rompre des lances avec ses détracteurs ou défendre les droits de la satire, juge plus difficile de moraliser directement lui-même, plus convenable de moraliser sous le nom d’autrui et, à l’occasion, en se moquant de ceux-là mêmes auxquels il prête ses propres paroles » (1).

En quoi donc Stertinius est-il ridicule ? Il l’est non pas dans ce qu’il dit, mais par la façon exagérée dont il utilise de façon immodérée les techniques d’argumentation des Stoïciens : oit par exemple le dialogue fictif des vers 158-163, qui s’en prend à l’avarice :

Quisnam igitur sanus? qui non stultus. Quid auarus?
stultus et insanus. Quid, siquis non sit auarus,
continuo sanus? Minime. Cur, Stoice? Dicam.
Non est cardiacus (Craterum dixisse putato)
hic aeger ; recte est igitur surgetque? Negabit.
quod latus aut renes morbo temptentur acuto.

Qui donc est dans son bon sens ? – Celui qui n’est pas déraisonnable. – Et l’avare ? – Il est déraisonnable et insensé. – Quoi ? si quelqu’un n’est pas avare, a-t-il du même coup son bon sens ? – Nullement. – Pourquoi, stoïcien ? – Je vais te le dire. Il n’a pas, ce malade, l’estomac atteint (imagine que c’est [le médecin] Craterus qui vient de parler). Se porte-t-il bien et va-t-il se lever ? Craterus dira que non, parce qu’il a le côté ou les reins attaqués d’une maladie aiguë » (trad. Fr. Villeneuve).

Dialogue fictif dont le locuteur fournit les questions et les réponses ; phrases courtes, progression logique, interrogation rhétorique, métaphore médicale assimilant les mots de l’âme à ceux du corps : on croirait lire un pastiche par anticipation du style bref et sentencieux de Sénèque

1. Horace, Paris, 1959, chap. 2.



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