Dans son édition commentée de la Théogonie (1), Aude Priya Wacziarg Engel insiste sur le rôle structurant des Muses dans le poème d’Hésiode . Dans un poème épique, souligne-t-elle, c'est le premier mot qui donne le sujet du poème (mènin, la colère, pour l’Iliade d'Homère ; andra, le héros, pour l’Odyssée). Or, le premier mot de la Théogonie, c’est Mousaôn, les Muses, qui sont donc bien plus que les dédicataires du poème.
Les Muses sont filles de Mnémosyne, la déesse de la mémoire ; elles partagent avec elle une commune racine, *men-, qui désigne les états mentaux. Détentrices d’un savoir, elles apportent aussi l’oubli (des maux). Elles se confondent avec la poésie, qu’elles inspirent. Présentes au début et à la fin du poème, elles en sont la matière même. Par elles, « le poème relève à la fois du divin et de l’humain ». Il est le reflet du monde des dieux, mais il est destiné à des oreilles humaines.
De plus, les Muses sont liées au cosmos, dont le poème raconte la genèse. « Elles sont neuf, et neuf est le chiffre qui sert à mesurer les distances cosmiques », entre le ciel et la terre, entre la terre et les Enfers. Leur séjour est l’Hélicon, nom qui est à relier à son environnement sémantique : les Muses dansent, forment des chœurs ; elles sont animées d’un mouvement hélicoïdal, formant une spirale autour de la montagne. Leur mouvement est le même que celui du fleuve Océan, qui entoure la terre de ses neuf bras, alors que le dixième, le Styx, s’écoule vers le monde souterrain. « De même qu’Océan a besoin de neuf bras pour entourer les neuf mesures du monde souterrain, de même les Muses doivent être au nombre de neuf pour couvrir de leurs rondes la distance qui sépare la terre du sommet du mont Hélicon. »
Ainsi les Muses sont bien la matière même du poème, aussi bien que sa forme : « Les Muses d’Hésiode sont des Muses qui disent le cosmos par leur nature même, qui les distingue de la Muse homérique. L’hélice est la gracieuse figure par laquelle les Muses figurent le macrocosme, dans leurs rondes autant que dans leurs chants. »
Pierre Judet de La Combe (2) insiste sur un autre trait des Muses d’Hésiode : « V VNNNNNNNNNNNNN/////////////////////////////////////////R656MY8888888888888888888888888468 0 3708GYILHYT8L6Elles sont nocturnes. Normalement, les hommes ne les voient pas, mais les entendent. Quand, au tout début du poème d’Hésiode la Théogonie, elles dansent, bien visibles, auprès d’une source aux reflets de violettes après avoir lavé leur tendre peau, personne ne les voit. Quand elles descendent de la montagne de l’Hélicon et rencontrent le berger Hésiode qu’elles vont initier à la poésie, elles sont « voilées d’une brume nombreuse » et « couvertes de nuit ». Le langage ne se voit pas et il sait parler de l’invisible : les dieux, les héros, les pays lointains, l’au-delà. »