Micrologies

Les Éthiopiques, un roman religieux ?


Les « romans » antiques qui nous sont parvenus (cette désignation est commode mais anachronique) appartiennent à deux veines, l’une "picaresque" et satirique, comme le Satiricon de Pétrone, ou les Métamorphoses d'Apulée, l’autre romanesque et sentimentale. Dans cette seconde catégorie, Les Éthiopiques d’Héliodore se distinguent d’une production souvent plate et médiocre par un art consommé de la narration et un humour subtil. On ne sait presque rien de cet auteur, qu'on situe le plus souvent au IIIe siècle après Jésus-Christ.

Le livre est écrit dans une prose d’art serrée, qui recycle avec bonheur les styles d’autres genres littéraires, puisque le roman grec n’en a pas qui lui soit propre : éléments d’épopée, de tragédie, de prose oratoire, mais aussi thèmes religieux ou philosophiques reconvertis dans la rhétorique amoureuse.

On comprend alors qu’Héliodore (qui aurait vécu au IIIe siècle ap. J.-C.) ait pu être confondu longtemps avec un homonyme, évêque de Trikka en Thessalie. L'oeuvre est empreinte d'une réelle religiosité, non pas chrétienne, mais liée selon les spécialistes au pythagorisme ou au culte solaire (tel qu’on le pratiquait notamment à Émèse, en Syrie, ville natale du romancier). Cet arrière-plan indispensable à la structure d'une intrigue complexe n’est certes pas la meilleure part du livre pour le lecteur d’aujourd’hui. Les qualités du roman sont proprement narratives.

On en trouve un bon exemple dans la première page du roman, in medias res, qui est d’un effet très moderne, très cinémascope, pourrait-on dire. Depuis des collines qui surplombent le Nil, des brigands découvrent un vaste paysage, puis, à leurs pieds, un vaisseau à l’ancre, les traces d’un combat violent, une jeune fille éplorée, penchée sur le corps de son amant. De cette scène spectaculaire avec son effet de zoom, on aurait du mal à trouver l'équivalent dans la littérature antique.

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