Dans son livre Arbres filles et garçons fleurs (1), Françoise Frontisi-Ducroux étudie les « métamorphoses érotiques dans les mythes grecs ». La plus célèbre est sans aucun doute celle de Narcisse, rendue fameuse par les Métamorphoses d’Ovide : Narcisse, épris de son image, dédaigne toutes les autres amours.
Cependant, une autre version de l’histoire racontée par un mythographe, Conon, et conservée sous forme d’un résumé par Photius, donne sans doute accès à la forme originelle du mythe : dans ce récit, ce n’est pas parce qu’il est épris de son image que Narcisse repousse les autres ; c’est parce qu’il refuse l’amour qu’il est ensuite condamné à n’aimer que lui-même : il a envoyé à son soupirant Ameinias une épée, avec laquelle celui-ci s’est suicidé. Il a commis une faute contre le dieu Éros, un crime d’hybris. « Ironiquement le châtiment est symétrique et inverse de la faute, comme le reflet sur l’eau. Narcisse qui refuse la réciprocité de l’ouverture sur autrui est condamné à la réflexivité, dans une clôture sur lui-même. » Cette version de Conon ne concerne que l’amour des garçons : « l’aventure de Narcisse porte à son comble l’homoérotisme, en lui substituant l’autoérotisme. L’amour du même devient amour de soi-même. »
Ovide, lui, développe considérablement l’histoire et « renforce le pôle hétérosexuel en ajoutant le personnage d’Écho », la nymphe qui « donne à Narcisse l’illusion d’entendre son double reflété lui répondre ». Cependant, selon Fr. Frontisi-Ducroux, ce n’est pas là l’essentiel : « l’innovation la plus importante d’Ovide est d’amener Narcisse, devant son reflet, à reconnaître son erreur : Iste ego sum, "c’est moi qui suis ce toi", finit-il par admettre. »