Jean Starobinski (1) fait remarquer que des quatre humeurs de la médecine ancienne, seule la mélancolie a été personnifiée : les trois autres éléments (bile, phlegme, sang) sont « trop irrévocablement matériels », tandis que la mélancolie, elle, n’a jamais cessé d’être représentée comme « une figure féminine à la face sombre ». C’est la « Merencolie » de Charles d’Orléans, qui tient le poète et ne le lâche pas, dans une seconde captivité qui vient redoubler celle de sa prison. Elle est aussi pour lui comme une maitresse d’école qui le soumet à sa règle : « Ici, la mélancolie n’est plus l’intruse qu’on expulse : elle retient sa victime dans l’espace étroit où elle l’a reclue. Le poète n’a plus de royaume qui lui appartienne : il est retenu prisonnier dans les oubliettes de la mélancolie. »
En effet, ajoute Starobinski, « toute allégorie délimite et qualifie un lieu, un espace », celui où peuvent se mouvoir les figures personnelles qui la constituent : espace ouvert ou fermé, ou bien théâtre, où le moi « paraît se décomposer en une multitude d’acteurs qui mènent leur jeu à part ». C’est alors le moi qui devient lui-même un site, un paysage sensible : ainsi Merencolie est « tantôt la visiteuse inopinée venue du dehors, tantôt la maîtresse d’un sinistre dedans où le poète est enchaîné ». Quelquefois même « les images personnifiées s’effacent, et l’allégorie se réduit aux images d’espace ».
Dans ce contexte, les situations d’errance (« le vent de Merencolie ») et d’enfermement ne sont pas inconciliables : elles se réunissent dans l’image du labyrinthe, figuré chez Charles d’Orléans par la structure du poème, avec ses vers répétés : « la forme même du rondeau – petit labyrinthe de paroles – exprime à merveille la démarche sinueuse du vagabondage enfermé, la poursuite condamnée aux retours forcés qui font que l’on se retrouve à la fin exactement où l’on avait commencé. »