Même aux moments les plus accaparants de sa vie politique, dans la période qui entoure la mort de César, Cicéron continue à entretenir épisodiquement une correspondance qui relève de la sphère de l’otium, de la détente et du divertissement. C’est le cas des lettres qu’il adresse à son ami Papirius Paetus, sur un ton mi-plaisant, mi-sérieux. C’est à ce correspondant qu’il réserve en effet des réflexions sur la langue, par exemple sur la propriété des termes (Fam. IX, 22).
Où réside l’obscénité du langage, se demande-t-il ? Dans le contenu ou dans les mots ? Pas dans le contenu, puisque la même action peut être exprimée en termes obscènes (futuire) ou en termes décents (violare). Mais pas non plus dans les mots : si enim quod uerbo significatur id turpe non est, uerbum, quod significat, turpe esse non potest. « Si le signifié n’est pas inconvenant, le signifiant ne peut l’être » (trad. J. Beaujeu). Cicéron rappelle alors le sens originel du mot penis, qui désignait la queue des animaux : on en a d’ailleurs dérivé le diminutif penicillus, (qui veut dire « pinceau »). Or, penis est devenu un terme obscène, alors qu’autrefois on l’utilisait métaphoriquement, pour éviter d’autres termes plus crus. Ce n’est donc pas le mot par lui-même qui est inconvenant.
Où gît alors l’obscénité ? Non ergo in uerbo est. Docui autem in re non esse ; nusquam igitur est. « Donc l’inconvenance n’est pas dans le mot. Or j’ai montré qu’elle n’est pas dans la chose ; donc elle n’est nulle part. » Cicéron passe alors en revue (non sans une complaisance amusée) quelques équivoques obscènes que l’on peut trouver dans des énoncés d’usage courant, quand on a l’esprit mal tourné : Memini in senatu disertum consularem ita eloqui : « hanc culpam maiorem an illam dicam ? » Potuit obscenius ? « Je me souviens d’un ancien consul éloquent, s’exprimant ainsi au sénat : "De quelle faute dirai-je qu’elle est la plus grave, de celle-ci ou de celle-là ?" Pouvait-il trouver plus obscène ? »
C’est que la fin de la phrase (illam dicam) évoque irrésistiblement le mot landicam (« clitoris »).
Que faut-il en conclure ? que l’obscénité réside seulement dans l’usage social de la langue, qui par elle-même est neutre : igitur in uerbis honestis obscena ponimus. « Ainsi donc, nous mettons de l’obscénité dans des termes honnêtes. »
La virtuosité de ce badinage amical n’est possible que parce qu’il repose sur la connaissance très sûre des effets du langage qu’a acquise l’orateur et qui nourrit toute son œuvre.