Micrologies

Portrait du docteur Gachet


Il existe deux versions du Portrait du docteur Gachet par Van Gogh. Celle du musée d’Orsay, aux bleus intenses, s'est vue parfois contester son authenticité, notamment parce que le peintre n’y a jamais fait allusion. L’autre version, la première en date, se trouve aujourd’hui au Japon. Peinte dans des tons différents (des jaunes et des mauves), elle montre, sur la table devant le personnage, deux livres dont les titres sont identifiables : Manette Salomon et Germinie Lacerteux, deux romans des Goncourt. C’est sur ce tableau que Starobinski fonde son analyse clinique du peintre et de son médecin (1).

Selon Starobinski, la nature des crises que traversait Van Gogh est douteuse, encore aujourd’hui. Cependant, quand il arrive à Auvers, le docteur Gachet lui parle de « mélancolie ». La personnalité du médecin est complexe : un hyperactif, un original, avec des moments de lassitude. Il est veuf, miné par le chagrin. Bref, Van Gogh voit en lui comme son double. Or Gachet, pour sa thèse de médecine, avait écrit une Étude sur la mélancolie. Il y fait un portrait physique du mélancolique, dont on retrouve de nombreux traits dans le portrait que Van Gogh a fait de lui : « le pli du sourcil, les plis entre les orbites, l’accentuation du pli naso-génien, la bouche pincée, le buste et la tête inclinés, etc. » (2). Coïncidence surprenante, note Starobinski : « Gachet aura pu reconnaître dans son portrait les caractères signalétiques qu’il avait lui-même attribués à l’individu mélancolique. » Il est représenté « le tronc oblique, la tête appuyée sur le poing », c’est-à-dire dans la position traditionnelle du mélancolique dans la peinture classique (il n’est que de penser à la Melencholia I de Dürer).

Quant aux livres des Goncourt, ils seraient des indices des préoccupations du médecin : « Ces deux œuvres des frères Goncourt ne sont pas choisies au hasard : la première concerne le monde des peintres, la seconde un cas pathologique évoluant de manière fatale, et les narrateurs y adoptent un regard « médical », conformément à l’esthétique réaliste » (Ibid. p. 252).

Ainsi, « l’œuvre si moderne, destinée à être comprise dans cent ans, et qui exerce sur nous, comme le souhaitait Van Gogh, l’effet d’une apparition, reste profondément liée à l’image que le passé s’était faite de la mélancolie ». Starobinski conclut sur cette méditation frappante : « Ce médecin en proie à l’anxiété est le témoin de l’anxiété du peintre : que devenir, si celui dont on attend le secours a lui-même besoin de secours ? »

Gachet
Van Gogh, Portrait du docteur Gachet, via Wikimedia Commons

1. « Le portrait du docteur Gachet par Van Gogh », texte recueilli dans L’Encre de la mélancolie, Paris, 2012, p. 245-253.
2. Op. cit. p. 250.



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