Les titres des romans de Daniel Defoe sont plus que des titres : des prière-d’insérer, de véritables prospectus publicitaires. Par exemple :
Après ce luxe de détails, est-il encore nécessaire de lire le récit qui suit ? Cette démarche « publicitaire » n’a rien d’étonnant chez ce polygraphe, contraint à une production abondante (et alimentaire), et que l’on pourrait comparer, en France, à Prévost ou Lesage.
En comparaison, le titre de Moll Flanders semble sobre :
Bien sûr on y trouve des éléments d’accroche à l’adresse du lecteur : parfum de scandale (catin, épouse incestueuse, voleuse, déportée), mais aussi traits de moralité (« honnête », « pénitente »). Cependant, ce qui frappe plus encore, c’est l’étrange comptabilité à laquelle se livre l’auteur, et qui ne vise pas seulement à exciter la curiosité. En effet, elle correspond à celle que, dans le roman, Moll elle-même passe son temps à établir, calculant les années, les hommes (nombreux) avec qui elle a vécu, et surtout l’état (très variable) de ses finances, dont elle tient le compte le plus exact. Cette dimension économique n’est pas la moins intéressante du roman : l’argent est la motivation principale des agissements du personnage, le plus souvent en-dehors de toute considération morale ; sa richesse finale apparaît même comme un élément de rédemption, tout comme celle du capitaine Singleton. Cette femme, bien que marginale et amorale, représente parfaitement la mentalité d’une société libérale telle qu’elle se développe alors en Angleterre. Le soin avec lequel Defoe fait tenir ses comptes à son héroïne (comptes financiers mais aussi examens de conscience), dans ce qui apparaît comme une sorte de « livre de raison » rappelle, mutatis mutandis, la minutie avec laquelle, dans les années 1660, Samuel Pepys notait dans son fameux Journal ses rentrées d’argent et ses écarts extraconjugaux.