Le discours de Cicéron Pro Caecina, dont la date est incertaine, n’est pas le plus palpitant de ses plaidoyers d’avocat : un différend banal entre particuliers concernant une querelle d’héritage, une argumentation juridique très technique. Cécina, le client de Cicéron, a été expulsé par la force d’un domaine dont il s’estimait le légataire et le légitime possesseur : menaces de mort, hommes de main stipendiés. Un simple fait divers ? Nullement, car, dans le droit de Rome, tous les actes accomplis, même ceux de violence, ont une portée juridique dont les deux parties sont conscientes : avant même le procès, c’est une procédure contre une autre, chacun cherchant à porter l’affaire devant le tribunal de la façon qui lui sera la plus avantageuse : il s’agit d’obtenir du préteur, magistrat chargé de l’instruction, l’« interdit » (c’est-à-dire la décision provisoire) la plus favorable possible. Dans cette logique, c’est le droit qui détermine les actes de violence, mais d’une violence canalisée, ritualisée dans les formes qui permettent son expression juridique.
Le discours de Cicéron est d’une véritable virtuosité : l’argumentation est serrée, brillante, de mauvaise foi, même, si l’on en croit la notice de la C.U.F. : la cause de son client Cécina n’est pas si solide que veut le dire l’avocat. Voici l’exemple d’une argutie linguistique utilisée par Cicéron : son client, on l’a dit, a été chassé par la force d’un domaine dont il s’estimait propriétaire. De fait, par une mesure « en référé », le préteur a formulé en faveur de Cécina un « interdit », un arrêté conservatoire, ainsi formulé : Vnde vi deiecisti, […] eo restituas : « Rétablis-le d’où tu l’as chassé par la force. » Non, il n’en a pas été chassé, prétend la partie adverse, puisqu’on ne l’a pas laissé y mettre le pied ! L’interdit du préteur est donc inapplicable. Mais, rétorque Cicéron, à l’adverbe unde (« d’où »), peuvent correspondre deux prépositions : on peut être expulsé du lieu lui-même (ex eo loco) ou des abords du lieu (ab eo loco) (XXX, 86-88) :
Ainsi, Cécina peut très bien avoir été chassé « des abords du lieu », sans qu’il soit juridiquement nécessaire qu’il y ait mis le pied. Puis, avec habileté, Cicéron rejette la responsabilité de telles subtilités sur la partie adverse : lui s’en tiendrait volontiers au droit civil, dont il fait un éloge grandiloquent : c’est l’avocat adverse qui l’entraîne sur le terrain des mots :
Élever le débat n’est pas inutile à la cause, surtout si, comme il semble, celle-ci est un peu faible, et qu’on recourt aux arguties mêmes que l’on reproche à son adversaire.