Micrologies

Sardanapale


« Delacroix, — lac de sang hanté des mauvais anges [...] ».

C’est ainsi que dans « Les Phares » Baudelaire caractérise la peinture de Delacroix. « Une définition qui fait tressaillir, parce qu’elle introduit dans la psyché du peintre, avant que dans son œuvre. » Roberto Calasso, à qui l’on doit cette réaction, s’efforce d’éclaircir ce vers (1). Il cite l’explication donnée par Baudelaire lui-même : « Lac de sang : le rouge ; – hanté des mauvais anges : surnaturalisme ». Cependant, selon Calasso, « ce rouge n’était pas seulement la couleur qui imprègne si souvent les toiles de Delacroix. C’était le sang. » Il faut alors chercher une explication supplémentaire, dit-il, dans un tableau particulier, La Mort de Sardanapale, lequel, « plus encore que de représenter la fin du despote, exhibait le carnage qui la précédait », et que ne faisait pas ressortir la source du peintre (Byron). « C’était comme si tout le tableau n’avait pas été conçu pour montrer un bûcher collectif, mais seulement le moment où un être singulier assiste au meurtre des êtres qu’il aime », le plus terrifiant étant le jaillissement simultané du sang de la femme et de celui du cheval.

Or Baudelaire était sensible à cet aspect du tableau : « Il m’est arrivé plus d’une fois, en le regardant, de rêver de ces anciens souverains du Mexique, de ce Moctézuma dont la main habile aux sacrifices pouvait immoler en un seul jour trois mille créatures humaines sur l’autel pyramidal du Soleil » (2). Le tableau est conçu, dit Calasso, « comme une sorte de tourbillon, une spirale cyclonique avec en son centre l’œil de Sardanapale ». De là, selon lui, le « lac de sang » du poème, qui manifeste la « fureur sacrificielle occulte […] sous-entendue dans toute la peinture de Delacroix ».


Delacroix Sardanapale
Eugène Delacroix, La Mort de Sardanapale, via Wikimedia Commons.


1. La Folie Baudelaire, [2008], trad. fr. Paris, 2011, p. 183-187.
2. Cité par Calasso, ibid..



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