Micrologies

Humiliation


« Baudelaire fut un immense expert de l’humiliation. »

C’est ainsi que Roberto Calasso (1) entame le passage qu’il consacre à cet aspect de la personnalité du poète. Selon lui, Baudelaire vécut l’expérience de l’humiliation dans tous les domaines : la famille (le général Aupick), l’argent (sa dépendance du notaire Ancelle), sa vie amoureuse (Jeanne ne l’estimait pas), sa vie littéraire (journaux, éditeurs, confrères).

« Inutile de se demander, commente Calasso, […] dans quelle mesure Baudelaire a voulu tout cela. Il aurait certainement pu, en de nombreuses circonstances, récupérer une existence à l’intérieur de l’ordre établi. » Le modèle (le contre-exemple), c’est pour lui Mérimée : « Tout en étant artiste dans chacune de ses fibres, Mérimée s’était bâti une existence de grand commis, qui le protégeait comme une carapace impénétrable. » Cependant, ajoute Calasso, « Baudelaire n’aurait pas résisté. Il aurait suffoqué avant de parvenir à une quelconque position rassurante. L’humiliation l’inspirait non moins que l’ennui. » Il est dommage que l’analyse s’arrête ici, au niveau biographique. Il eût été intéressant de suivre les traces de cette « inspiration » dans l’œuvre.

D’autant que Calasso rapproche l’humiliation baudelairienne d’une expérience voisine, celle de l’abjection, dont il indique la présence chez d’autres auteurs contemporains ou postérieurs : les Russes (Gogol et Dostoïevski), le Melville de Bartleby, Lautréamont, etc. La différence majeure, toutefois, c’est qu’il est alors question des textes, des œuvres et non de la vie. C’est la double limite non pas seulement de cet éminent auteur, mais bien souvent de la critique littéraire italienne que de cantonner ses intuitions au simple niveau de l’impression (et de sa formulation juste), et d’autre part de confondre par trop faits biographiques et faits littéraires.

1. La Folie Baudelaire, [2008], trad. fr. Paris, 2011, p. 65-66.



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