Micrologies

La fin des romans de chevalerie


Le concile de Trente (1542-1563) entraîne une rupture dans l’art du roman : c’est ce que montre Fumaroli (1). L’assemblée ecclésiastique condamne en effet le roman de chevalerie, pour des raisons à la fois esthétiques et éthiques : l’invraisemblance de ces œuvres confine, pense-t-on, au désordre moral. Le succès de l’Amadis, dernier des grands cycles de chevalerie, et de ses traductions, est fulgurant mais bref. C’est l’évêque Amyot (le traducteur de Plutarque) qui se charge du rappel à l’ordre, en mettant en avant un autre modèle, celui d’Héliodore, qu’il traduit et préface : face aux extravagances du roman de chevalerie, le modèle antique lui semble à la fois plus vraisemblable, plus chaste et d'une plus grande utilité morale.

Les derniers avatars du roman de chevalerie viennent de France ou d’Espagne, ou encore de Ferrare, à l’écart de l’épicentre romain de la Contre-Réforme. À cette dernière se rattache le Don Quichotte , dans lequel les personnages du Curé et du Chanoine se chargent de la condamnation ecclésiastique du roman à l’ancienne. Cervantès fonde ainsi en fait et en droit le roman moderne. Son mérite, selon Fumaroli, serait d’avoir présenté, dans une forme à la fois ouverte et fermée, une synthèse critique, une mise en œuvre dialectique des deux formes du roman, avec leurs richesses et leurs limites. D’où le modèle inépuisable que constitue le Quichotte. Le Persilès, le roman tardif de Cervantès, serait au contraire un roman « tridentin » calqué sur le seul modèle d’Héliodore, d’où son moindre intérêt. C’est simple et évident (après coup) : un léger déplacement de perspective permet d’éclairer l’histoire littéraire par une causalité qui ne tient pas (seulement) à l’évolution interne des formes et des genres.

1. Exercices de lecture, Paris, 2006, pp. 29-61.



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