Micrologies

Peinture siennoise


Les cloisonnements géographiques de l’art italien donnent une idée tangible de ce qu’a pu être autrefois le morcellement politique de la péninsule. Ainsi l’école siennoise perpétue la tradition gothique pendant tout le Quattrocento, alors même que Florence, à soixante kilomètres, jette les fondements d’un art classique. En forçant le trait, on peut dire que Sienne passe directement du gothique au maniérisme. Mais quelle différence aussi, par exemple, entre le maniérisme siennois ou florentin, avec ses couleurs souvent acides, et les lumières dorées, les pourpres somptueux des artistes vénitiens du XVIe siècle.

Une explication à cette différence entre Sienne et Florence est proposée par Patrick Boucheron (1) dans son livre sur la fresque d’A. Lorenzetti au Palais communal : Le particularisme de la peinture siennoise, la persistance archaïque de ces fonds dorés qui occupent de façon un peu lassante les murs de la Pinacothèque nationale de Sienne tiennent à des facteurs économiques et politiques : l’apogée de la puissance de Sienne intervient très tôt, dès avant 1300. Le déclin survient vite, lié à la prospérité croissante de Florence, la voisine et rivale, à la peste noire de 1348 aussi. Les réalisations urbanistiques du Quattrocento ne sont que les derniers feux d’une cité en déclin. Ce n’est plus à Sienne qu’ont lieu les grandes innovations artistiques, dont l’œuvre des Lorenzetti marque plus ou moins le terme.

Une belle exposition présentée à Rouen en 2015 permettait de préciser la chronologie de cette évolution : le passage du modèle byzantin au modèle florentin, dans un parcours spécifique et original : humanisation des visages avec Duccio au Duecento, douceur et préciosité de Simone Martini, représentation de la réalité contemporaine avec les Lorenzetti. Après la rupture de 1348, on trouve encore de bons faiseurs comme Sano di Pietro (dans le style ancien), ou Giovanni di Paolo avec ses figures étirées et ses paysages étranges. Au Quattrocento, Sassetta introduit avec simplicité et vigueur des apports florentins. Les dernières œuvres présentées (vers 1500) ne montrent plus de différence marquée avec le style de Florence.

Plis des tissus, différenciation des visages, ciels, paysages d’arrière-plan, apparition (tardive) des ombres ou de la perspective, personnages de donateurs : tels sont les indices qui permettent d’individualiser les œuvres ou de percevoir une évolution dans une iconographie religieuse par ailleurs répétitive, notamment à cause de la dévotion particulière de la ville à la Vierge.

1. Conjurer la peur, Paris, 2013.

Giovanni di Paolo (1403-1482), La Vierge de l'humilité, via Wikimedia Commons.


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