Une lettre de Machiavel à son ami Venturi, datée de 1513, évoque ses pratiques de lecture. Ce texte est analysé par Anthony Grafton (1), qui le juge emblématique de la lecture humaniste à la Renaissance. À cette époque, Machiavel, relégué dans sa maison de campagne à l’écart de Florence et exclu de l’activité politique, se consacre à sa vie intellectuelle. Il pratique deux types de lecture : dans la journée, il se consacre volontiers à la poésie :
Plus tard dans la soirée, il consacre son temps aux grands auteurs :
Grafton fait observer que ces deux types de lecture correspondent à deux types de livres imprimés : d’une part, dans la journée, « les petites éditions in-octavo des classiques, en latin ou en italien, qu’Alde Manuce avait commencé à publier dans la décennie précédente ». Le format réduit permet de les emporter commodément avec soi, à l’extérieur. D’autre part, le soir, « les gros in-folio et in-quarto qui remplissaient les rayonnages du cabinet de travail d’un lettré de la Renaissance ».
Deux types de livres, donc, mais aussi deux types de pratiques : dans la journée, l’in-octavo offre à Machiavel « un moyen transportable de se vider la tête de toutes sorte de problèmes. Ces lectures stimulaient non pas sa pensée mais sa rêverie, elles étaient un passe-temps où se perdre. » Le soir, apparaissant dans le texte sous forme allégorique, les écrits de ces grands hommes de l’Antiquité que l’on retrouve dans son œuvre : « Cicéron, et peut-être quelques autres philosophes, mais surtout les héros d’historiens comme Plutarque, Tite-Live, Tacite. » Il s’agit ici pour lui de s’instruire et non pas de se distraire, dans la perspective de l’action politique. « Il leur posait des questions précises et espérait des réponses tranchées. »