Micrologies

Le théâtre latin des Jésuites


Le théâtre latin des Jésuites est un de leurs plus grands succès pédagogiques. C’est ce qu’explique Wilfried Stroh dans son histoire de la langue latine (1). L’auteur étudie le cas de l’Allemagne, où ce théâtre a connu un développement très particulier entre le XVIe et le XVIIIe siècle. On estime à 20000 le nombre de pièces latines écrites dans ce pays à l’époque moderne. Elles étaient jouées par les élèves des collèges lors de représentations publiques données régulièrement à des moments importants de l’année. Le succès de ces spectacles est attesté, mais, se demande Stroh, qui pouvait comprendre le texte de ces pièces entièrement composées en latin ? Visait-on justement l’incompréhension […] pour en imposer au public fruste par une aura de sacré ? » Stroh préfère penser que les gens sachant le latin étaient assez nombreux dans les classes aisées ; de plus, on distribuait des livrets en langue vulgaire ; les arguments, souvent bibliques et religieux, étaient bien connus des spectateurs. De ce théâtre, les auteurs, des pères jésuites, restent modestes, voire anonymes : les textes ne sont jamais édités.

Stroh donne quelques exemples de spectacles retentissants donnés à Munich. En 1568, un Samson bénéficie de la musique de Roland de Lassus. Un peu plus tard, un Constantinus se déroule sur deux jours, avec mille participants, dont beaucoup à cheval. Un point culminant est atteint en 1597 avec un Triumphus Divi Michaelis, sorte de revue à grand spectacle : « Avec ce spectacle, venant après tant d’autres, le duc Wilhelm V était allé au-delà des possibilités de son compte en banque. Pour éviter une banqueroute de l’État, il dut abdiquer sur-le-champ en faveur de son fils, le duc […] Maximilien Ier. »

Ce théâtre, contemporain de celui de Shakespeare, nous place dans un univers totalement différent, où le théâtre ne relève pas de l’entreprise privée (même parrainée par les Grands), mais de la conjonction, dans le cadre de la Contre-Réforme, de l’emprise éducative d’un ordre religieux et du mécénat de monarques catholiques.

1. Le latin est mort, vive le latin, [2007], trad. fr. Paris, 2008, p. 197 sq.



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