Micrologies
Pour expliciter la notion de « roman antiphilosophique » qu’il emploie à propos de Candide, le critique Colin Duflo (1), recourt à une comparaison avec Cervantès : « Victime du même mécanisme hallucinatoire que Don Quichotte, Pangloss voit comme conforme à l’hypotexte [la philosophie de Leibniz] l’univers décrit par l’hypertexte [le roman de Voltaire]. » Il est ainsi « une victime consentante de la métaphysique systématique ». Candide, quant à lui, apprend à ses dépens la différence entre les deux mondes :
Il y a ainsi une « double transposition » opérée par l’hypertexte (romanesque) sur l’hypotexte (philosophique) : d’une part « Pangloss et Candide croient être dans l’univers de Leibniz, et ils sont dans un autre ». D’autre part, on passe de l’argumentatif au narratif : c’est le propre d’un roman » antiphilosophique » comme Candide, dont le projet est celui de la « réfutation narrative d’une philosophie ». Puisque c’est « l’entreprise de description rationnelle du monde » qui est révoquée en doute, « ce doute ne peut être mis en œuvre que par d’autres moyens que ceux de l’argumentation, cette réfutation ne peut se faire que narrativement ».
On pourrait ajouter cependant que le héros du premier roman est Don Quichotte (et non Sancho) et celui du second Candide (et non Pangloss). Cette inflexion atténue le parallèle et accentue la dimension satirique du texte de Voltaire : Don Quichotte, dans son monde irréel, a une dimension héroïque ; Pangloss, lui, ne laisse au lecteur aucune possibilité d’empathie.