Dans le recueil Courir les rues de Raymond Queneau, un poème s’intitule « Traduit du latin » (1).
« Traduit du latin », mais quel latin ? Il faut un hasard heureux pour tomber sur l’ode d’Horace au vaisseau de Virgile :
Heureux temps (1967) où une telle allusion pouvait être comprise, en principe, sans aucune note en bas de page. Mais référence pour happy few, déjà, sans doute : on peut remarquer d’ailleurs que la latinité de Queneau doit beaucoup à la traduction de la C.U.F. L’appropriation ludique passe aussi par la rupture de ton : tout le poème joue sur la confrontation du noble et du trivial, avec des périphrases qui évoquent vaguement l’antique : « rostres d’acier » (des « ouatures »), « tonnerre des impatients » (les klaxons), « fumées tétraplombées des pots expectorateurs » (avec étymologies gréco-latines). La juxtaposition des registres se poursuit jusqu’aux deux derniers vers et aux rimes finales.
S’il faut chercher une signature personnelle, on la trouvera peut-être dans le « chêne », arbre quenaldien s’il en est, puisque revendiqué par le poète comme l’une des étymologies de son patronyme. Faut-il en conclure que le poète, héros de son texte et traversant au péril de sa vie l’avenue parisienne se compare, avec la caution d’Horace, à Virgile traversant la mer vers la Grèce ? Traversée métaphorique de l’avenue qui serait aussi transgression poétique ?