Micrologies

Traductions de l’Iliade


Au chant XXIII de l’Iliade, Achille envoie des bûcherons sur le mont Ida, près de Troie : ils doivent couper du bois pour le bûcher funéraire de son ami Patrocle, récemment tué par Hector. Ils ont du mal à progresser sur les pentes accidentées de la montagne :

Πολλὰ δ’ἄναντα κάταντα πάραντά τε δόχμια τ’ἦλθον (v. 116).
« Polla d’ananta katanta paranta te dokhmia t’êlthon. »

En gras, les voyelles des syllabes longues qui scandent le rythme du vers. Une traduction littérale donnerait : « Longtemps, en haut, en bas, de côté, en oblique, ils avancèrent. »

Paul Mazon, dans une note à sa traduction, note que dès l’Antiquité, ce vers était célèbre « par l’effet d’harmonie imitative qu’il produit (1), grâce à l’accumulation de quatre adverbes, dont trois ont exactement même sonorité et même valeur métrique. » On peut contester l’expression d’ « harmonie imitative » (quelle « imitation » ?), mais non l’effet sonore frappant et réussi de ce vers, qui n’en pose pas moins de redoutables problèmes aux traducteurs : toute traduction implique en effet à la fois des choix et des renoncements.

La récente traduction rythmée de Philippe Brunet (2010) choisit de respecter la cadence du vers, en remplaçant les voyelles longues du grec par des syllabes accentuées en français :

« Ils allaient par monts et par vaux, chemins et traverses. »

Les adverbes du grec sont traduits par des substantifs français qui en rendent les nuances spatiales. Mais l’effet de sonorité est manqué. D’autres traducteurs tentent de le rendre par une série de participes. C’est le cas de Paul Mazon (1937-1938) :

« Et ils vont sans cesse montant, descendant, longeant ou coupant. »

Le rythme, sur la fin du vers, est le même que chez Brunet ; le traducteur a voulu cependant restituer l’adverbe polla, « sans cesse », ce qui allonge la phrase. Eugène Lasserre, en 1933, cherche, lui, à conserver l’ordre des mots grecs, et notamment la place finale du verbe, qui souligne l’effort victorieux des hommes :

« Longtemps, montant, descendant, par côté, obliquement, ils allèrent. »

L’effet de sonorité est rendu, mais le rythme de la phrase est boiteux.

On peut enfin, comme Anne Dacier en 1711, survoler à la fois la particularité du vers et les sentiers du mont Ida :

« Malgré la difficulté des chemins, ils arrivèrent […]. »

1. Témoin Lucien, qui dans son texte satirique Les Hôtes à gages, 26, en fait l'application aux malheureux parasites qui gravissent et dévalent les collines de Rome, en quête de l'hôte qui leur offrira à souper.



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