En 1667, Samuel Pepys, auteur d’un fameux Journal, se montre particulièrement disert : il va bien, semble-t-il, malgré les charges et les soucis professionnels dont il est assailli. Il s’attarde particulièrement sur ses moments de loisir, une promenade en canot sur la Tamise ou cette journée passée avec sa femme à la campagne, à Epsom (14 juillet) : on déjeune à l’auberge, on se promène dans les bois, on rencontre un berger que l’on observe avec curiosité, on boit du lait frais, on rentre à la fraîche.
Bergerie rousseauiste, scène bucolique banale, ou plutôt qui le serait si l’on était au XIXe siècle. Mais on a l’impression d’assister ici à une nouveauté : la naissance, dans la classe aisée, du loisir bourgeois, pause dans une vie de travail, et donc radicalement différent de l’oisiveté aristocratique. La page se termine d’ailleurs par la réflexion suivante : « Jamais je n’aurai de maison de campagne, mais j’aurai un carrosse, et j’irai avec ma femme le samedi passer la journée tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre tout-à-fait différent, c’est moins monotone que d’avoir une maison à la campagne, cela ne coûte pas plus cher et on n’a pas d’ennuis. » Contre la villégiature aristocratique, le week-end bourgeois du haut fonctionnaire.
L’année suivante, en juin 1668, Pepys effectue d’ailleurs son premier voyage touristique. Accompagné de sa femme, il visite Oxford, Salisbury et Stonehenge, Bath, Bristol, arrêtant chaque soir son carrosse dans une auberge. Pour ce circuit d’une dizaine de jours il a demandé et obtenu un congé du duc d’York, dont il dépend. Le loisir moderne, celui du plaisir individuel (et individualiste) se détache de la fête collective : c’est d’ailleurs pour Pepys le groupe d’amis qui tient lieu de communauté (choisie, celle-ci, et non subie).