Micrologies

Gauvain chez Roubaud


Graal fiction, livre de Jacques Roubaud (1), est une réécriture à la fois érudite et très personnelle des récits arthuriens. L’auteur en entreprend aussi la modélisation, sur le mode ludique. Et c’est en effet tentant : les constantes formelles sont indéniables, les schèmes narratifs sont assez peu nombreux, les personnages et les situations sont codifiés. Le roman de chevalerie est un art de la variation sur des thèmes obligés. De plus, la prégnance des textes canoniques (Chrétien de Troyes) impose des contraintes aux auteurs ultérieurs.

Ainsi Roubaud peut-il proposer une « axiomatique Gauvain » (avec une utilisation plaisante du cas-régime de l’ancienne déclinaison), qui formalise les caractéristiques de ce modèle du chevalier accompli, neveu du roi Arthur, l’un des personnages les plus récurrents et aussi les plus stables d’un récit et d’un auteur à l’autre. Par exemple :

« (GVI). Gauvain est le plus grand élément de l’ensemble ordonné des chevaliers »,

et ce dans trois domaines, ceux du lignage, des armes et de l’amour.

Axiome suivant : «(GVII). Gauvain est élément maximal dans chaque composante », ce que Roubaud décline en trois autres axiomes :

- « (GVII a). Il n’y a pas de chevalier de plus haut lignage que Gauvain.
        - (GVII b). Il n’y pas de chevalier de prouesse supérieure à Gauvain.
        - (GVII c). Il n’y a pas de chevalier qui dépasse Gauvain en prouesse amoureuse. »

Et la démonstration se poursuit dans le plus pur style mathématique :

« Nous sommes en mesure de déduire des axiomes précédents une propriété nouvelle de Gauvain […]. Nous la noterons (N) et nous l’énoncerons d’abord en citant Chrétien qui l’a, je crois, découverte le premier, dans son « conte du Graal ».

Cette « propriété » est ensuite formulée ainsi :

« - (Na). Gauvain ne refuse jamais de dire son nom ;
        - (Nb). Il ne le dit jamais si on ne le lui demande pas.
        Et (N) sera :
        (N). (Na) et (Nb) sont vraies toutes les deux. »

Tout le jeu d’esprit tient à ce que Roubaud emploie le vocabulaire de la déduction, (il va ensuite « démontrer » la propriété ainsi énoncée, à partir des axiomes précédents), alors que bien sûr, les traits du personnage sont induits des récits qui le font apparaître. Chrétien est ainsi présenté comme le découvreur de propriétés « mathématiques » sorties de l'imagination de Roubaud. Tout ce jeu prend place dans le contexte des tentatives de formalisation des textes littéraires produites pendant les années 1960 et 1970. Entre sérieux et dérision, Roubaud, en 1978, montre à la fois la séduction de cette démarche et ses limites.

1. Paris, 1978.



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