L’Alceste d’Euripide s’ouvre sur un prologue narratif : c’est un dieu, Apollon, qui est chargé d’exposer la situation : Admète, son hôte, doit mourir. Apollon, qui est son protecteur, a obtenu des Moires, les déesses de la destinée, qu’un volontaire meure à sa place mais Admète n’a trouvé, pour se dévouer, que sa propre épouse Alceste. Survient Thanatos, le dieu du trépas, qui vient chercher sa proie. Apollon tente en vain de l’en détourner, et annonce la venue d’Héraclès, qui saura arracher Alceste aux Enfers. Après quoi il quitte la scène pour ne plus reparaître. Mais il a fait plus que de jouer les utilités.
En effet, les tout premiers vers de la pièce donnent une cohérence à son intervention en en rappelant l’arrière-plan mythologique. Si Apollon a été condamné à l’exil sur la terre des hommes et à garder les troupeaux d’Admète, c’est qu’il avait tué les Cyclopes, qui fabriquaient le foudre de Zeus. Il voulait ainsi venger la mort de son fils Asclépios, le dieu médecin : ce que ne dit pas le texte d’Euripide, mais qui est connu par plusieurs récits antérieurs, c’est que ce dieu avait eu l’imprudence de se mettre à ressusciter des morts : Zeus l’avait foudroyé pour châtier cette entorse à l’ordre de l’univers.
Ce qui s’était joué là, avant le début de la pièce, c’est l’exact inverse de ce qui va maintenant être montré : à la résurrection sacrilège opérée par Asclépios va succéder la résurrection réussie accomplie par Héraclès, qui va ramènera Alceste des Enfers. Si Apollon essaie autant d’aider Admète, comprend-on implicitement, c’est aussi pour annuler en quelque sorte la sentence de mort qui a frappé son fils et imposer une nouvelle résurrection, au nez et à la barbe de Zeus. Loin d’être un hors-d’œuvre artificiel, ce prologue donne donc à la fable une impulsion divine, qui insuffle son énergie au reste de l’œuvre.