Micrologies

Atlantide


Le livre de Pierre Vidal-Naquet sur L’Atlantide (1), a pour objectif premier de tordre le cou définitivement aux tentatives de localisation du continent perdu. C’est chose faite dès le premier chapitre, avec l’étude serrée des textes du Timée et du Critias de Platon, fondateurs pour le mythe. Après quoi, l'auteur peut passer en revue les formes diverses qu’a prises le mythe au fil du temps, des plus élaborées aux plus farfelues.

Pourquoi toute lecture « historique » des textes de Platon est-elle frappée de nullité ? Parce que le mythe élaboré par Platon, selon Vidal-Naquet, est de part en part politique : quand il parle de l’Atlantide, c’est d’Athènes qu’il est question. Selon le Timée, dans des temps très anciens, une guerre opposa Athènes aux Atlantes, envahisseurs venus de la mer. Les Athéniens furent vainqueurs, et l’Atlantide fut ensuite engloutie par les flots. S’opposent donc deux cités guerrières : d’un côté une Athènes idéale, une, immuable, hoplitique, dont l’organisation est proche de celle décrite dans la République ; de l’autre côté, la cité des Atlantes qui en fait est aussi une figure d’Athènes, mais de l’Athènes historique, une thalassocratie soumise à l’histoire, au temps, à l’altérité.

Parmi les preuves qui démontrent, s’il en est besoin, le caractère fictif du mythe, Vidal-Naquet relève celle-ci : le vocabulaire utilisé par Platon pour raconter le conflit est emprunté à Hérodote : l’affrontement entre les Athéniens et les Atlantes est un remake des guerres médiques racontées par l’historien, mais dans lequel Athènes serait dédoublée : l’Athènes démocratique (représentée ici par la cité des Atlantes) joue, paradoxalement, le rôle de l’envahisseur perse. Ainsi, dit Vidal-Naquet, le texte construit « le récit de la guerre d’Athènes contre l’Atlantide, je veux dire de l’Athènes telle que Platon aurait voulu qu’elle fût, l’Athènes dite primitive, contre l’Athènes impérialiste telle qu’elle s’est constituée après les guerres médiques en s’appuyant sur la flotte de guerre » (p. 33-34). Et la guerre se conclut par une victoire terrestre des hoplites athéniens sur la flotte des Atlantes. C’est une réécriture des guerres médiques qui ne rappelle que les victoires terrestres de Marathon et de Platées en omettant la bataille navale de Salamine.

Cette thèse de l’infériorité morale de la guerre navale, Platon l’a développée ailleurs, dans les Lois : Vidal-Naquet commente : « La guerre maritime enseigne la lâcheté aux hoplites (707 a-e). On comprend dans ces conditions pourquoi l’Athènes primitive dispose de vingt mille hoplites mais n’a pas de marine face à l’Atlantide qui en a une énorme » (2).

Le chapitre qu’il consacre à Platon se termine par un excursus consacré au mythe de la Caverne : il rappelle que le dispositif imaginé par le philosophe anticipe celui des salles de cinéma (3) Mais par ce qui semble un curieux hasard, et qui, en tout cas, n’est pas exploité par l’auteur, le bas de la page est occupé par une illustration : une reproduction du « bas-relief Lenormant », du Musée de l’Acropole, où l’on voit en action les rameurs d’une trière. Et soudain, l’analogie devient frappante : les rameurs cloués sur leurs bancs sont comme les prisonniers enchaînés dans la Caverne ; de même que ceux-ci tournent le dos à la lumière du feu, eux tournent le dos à l’avant du bateau, au sens de la marche (tandis que les soldats de l’armée hoplitique affrontent la mort et le danger en face). Est-ce là une des raisons pour lesquelles Platon aimait si peu la marine ?


Bas-relief Lenormant[CC BY-SA 2.5 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.5)]
Bas-relief Lenormant, Acropolis Museum , via Wikimedia Commons.

1. Paris, 2005.
2. Op. cit. p. 41.
3. Ibid. p. 42.



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