C’est une de ces comparaisons médicales qu’aiment bien les penseurs stoïciens : l’âme humaine, qui ne sait rester en repos, trouve une forme de divertissement dans le tourment et la souffrance que lui apporte le mouvement des passions. Sénèque ajoute un peu plus loin : Sunt enim quaedam quae corpus quoque nostrum cum quodam dolore delectent, ut uersare se et mutare nondum fessum latus et alio atque alio positu uentilari : « N’y a-t-il pas pareillement des jouissances corporelles qui se doublent d’une sensation douloureuse, comme lorsqu’on se retourne sur le côté qui n’est pas encore fatigué et qu’on se remue sans cesse en cherchant une meilleure position ? » (op. cit., 2, 12). Sénèque écrivant ces lignes ne pouvait ignorer ce célèbre passage au début du Phédon :
Mais chez Platon, on ne trouve aucune dévalorisation d’un plaisir mauvais qui ne ferait qu’aviver maladie et souffrance. Il anticipe simplement la question de l’union des contraires, qui fera l’objet d’une discussion dans la suite de l’ouvrage. La remarque de Socrate renvoie aussi à sa mort prochaine, source à la fois de déplaisir puis de plaisir pour l’âme enfin détachée de ses chaînes corporelles : si la jambe de Socrate le démange, c’est que justement le geôlier vient de lui ôter ses fers. Cette première délivrance anticipe la libération espérée de l’âme.
Pour une même observation, deux analyses opposées : là où Platon fait place à la joie, Sénèque porte condamnation rationnelle de toute émotion, de toute perturbation de l’âme.
Montaigne rapporte lui aussi une expérience analogue (1) (Essais III, 12, « De l’expérience », Pléiade p. 1141 sq.), mais lui donne un sens encore différent. Dans ce passage, il parle de cette maladie de la pierre qui le fait souffrir par accès et de l’alternance en lui de la douleur et du soulagement : « Mais est-il rien si doux, au prix de cette soudaine mutation ; quand d’une douleur extreme, je viens par le vuidange de ma pierre, à recouvrer, comme d’un esclair, la belle lumiere de la santé : si libre et si pleine : comme il advient en noz soudaines et plus aspres coliques ? Y a il rien en cette douleur soufferte, qu’on puisse contrepoiser au plaisir d’un si prompt amendement ? » Il se réfère aussitôt à Socrate et à ses démangeaisons avant cette conclusion : « Nature nous a presté la douleur, pour l’honneur et service de la volupté et indolence. » Pas d’implications métaphysiques ici, ni même éthiques : la simple conjonction des contraires, la succession de la souffrance et de la volupté dans cette condition ambivalente, changeante qui est celle de l’homme. La marque stoïcienne, s’il en est une ici, ce serait que Montaigne domine la première en la relativisant la première au prix de la seconde.